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Poésie libre
brabant : Le saint
 Publié le 03/04/13  -  18 commentaires  -  7199 caractères  -  110 lectures    Autres textes du même auteur

Cioran dit que seuls les fragments valent et qu'ils ne doivent pas être réécrits.

"Un rêve curieux sur lequel je préfère ne pas m'arrêter. Tel ou tel l'aurait décortiqué. Quelle erreur ! Laissons les nuits enterrer les nuits." E.M. Cioran "Ébauches de vertige" dans "Écartèlements" Gallimard (1979)


Le saint



Il avait peiné à me suivre sur le pavé arasé
De quartz et de mica
Au sortir de la voiture
À deux cents mètres du cabinet médical
Souffle désaccordé à mon pas
Pourtant conciliant

Il avait levé le bras gauche
Sous le regard sarcastique de l’oncologue
Peu amène
Qui voulait l’aisselle droite
Pince-sans-rire
Ni savoir-vivre
Puis on était rentrés
Giflés

J’étais parti à la grande école
Sise dans la grande ville
Étudier Kafka
Sans autre forme de procès
Quand on l’avait transporté à l’hôpital
Inhumanités

Il avait demandé à ce que j’aille le voir
À mon retour
Ses derniers mots avaient été pour moi
Pas pour mon grand frère
Qui travaillait avec lui
Strangers in the Night

Il était mort d’une embolie
Sans personne de son ménage
En arrivant à la clinique
Embarqué débarqué réembarqué
Retour à la case départ
Mais pas question de reprendre les dés
Les cartes étaient jetées
Et les billes battues
Enroulé roulé déroulé

Les ambulanciers l’avaient posé dans le couloir
Le long du mur
Sur le carrelage glacé
Puis s’en étaient allés

Le croque-mort s’était proposé pour faire sa toilette
Avait demandé de l’eau du savon et de quoi le raser
Dans cette stalle
Faiblement éclairée
La bise courait sous la porte

Il l’avait habillé
On avait détourné les yeux
Pour ne pas voir sa nudité
Comme ce fils de Noé
Maudit avec sa descendance
Shame on them !

Le croque-mort était reparti
Après nous avoir aidés à l’allonger sur le divan déplié
Couche de Procuste
Le propre des géants est d’être aussi grands couchés que debout
Lui couperait-on les pieds ?

Le chien était venu quémander une caresse à la main
Qui reposait sur le drap
Par jeu
Avait tenté de l’amener sur son museau
Pour la ramener sur sa nuque
Crime de lèse-majesté
“Rancho !”
La mort n’a pas l’oreille des cockers
Toilettée ou non

Mon aîné avait replacé son dentier déboîté
Qui lui faisait un visage de travers
Je n’avais pas osé
Ni ma mère
De quoi sert ?
Il faut paraître encore

Le garagiste avait fait irruption
Au milieu de la veillée de prières
Et n’avait pas eu l’audace de repartir
Crotte parmi les bigotes

Un charpentier apostat avait réclamé l’argent
De trois clous en souffrance
Alors que son corps n’était pas encore froid
Combien de vices pour un cercueil ?

Son ami le boucher
Fils de cœur
Lui avait apporté une bouteille d’Arquebuse
Élixir de résurrection
Tandis qu’il mourait
Ils avaient bien ri des médecins
Mais ce sont toujours les toubibs qui rient les derniers

Le curé était venu lui rendre visite
Il n’avait pas compris
Moi si
Ego te absolvo

Car le médecin de famille m’avait prévenu
En m’accostant sur le trottoir
Alors qu’il sortait de table
Son haleine exhalait le cognac
VSOP

Mon aîné avait lâché la nouvelle comme un rot
Un soir de malt confidence
Au café 1, 2, 3
SOLEIL
Et tout le monde était au courant
La commune comptait trois grands malades

Le marchand de meubles
Qui avait marié sa fille au fils du brasseur
M’en avait demandé quittance
En m’accostant sur le trottoir
Lui aussi
Convoquez l’arrière-ban

Un ivrogne m’affirma dans un troquet
Que comme lui il serait allé décrocher le coq
Dans les nuages
Là-haut sur le clocher
J’acquiesçai de mort lasse

J’avais pris sur moi de prévenir ma jeune sœur
Tandis que nous empruntions une venelle
Qui menait chez le marchand de vin
Je lui avais interdit de pleurer
Brutalement

Quand la veillée fut terminée le garagiste
Qui avait été enfant de chœur
Bafouilla
Ahuri mais il l’était toujours
Abuseur de Lager
La famille sourit de son embarras
Je ris

Notre comptable vint de la préfecture
Où il avait pignon sur rue
Lui rendre un dernier hommage
Il fit le salut des francs-maçons
Nous éprouvâmes un sentiment de fierté

Son associé argua qu’ils faisaient la course à la truelle
À chaque lit de mortier
Pour mettre en avant son courage
Ce qui était vrai
Ajouta qu’il maçonnait plus vite que lui
Ce qui était faux
Suprême élégance

Un obligé qu’il avait sorti de la misère
Pleura beaucoup poussa des cris d’orfraie
Prit toute la place à l’enterrement
Puis nous laissa tomber
Quand nous eûmes besoin de lui
Pour de vrai

Quand il fallut sortir le cercueil
À angle droit
Le couloir s’avéra trop exigu pour la manœuvre
Et les fenêtres étaient coincées par des années de peinture
Les extras durent redresser la caisse
Où le corps ensaché glissa d’un coup
Comme si on l’avait jeté à la mer
On entendit le genou cogner contre le couvercle
En creux distinctement
Mon père sortit debout
De sa maison
Comme il avait vécu

Son beau-frère remarqua qu’il était mort le jour de sa fête
Et derechef le canonisa
On ne fait pas le deuil d’un saint
Alors il emporta nos vies avec lui
De bégaiements en soûleries

C’était le 15 novembre 1974
Les PTT venaient de chambouler Grégoire
Jeux de chaises musicales
Où roquent les Patriarches
Trois p’tits tours et puis s’en vont

____________________________________


Notes :
Le brigand grec Procuste allongeait ou raccourcissait les membres des malheureux voyageurs qu’il avait auparavant entravés dans un lit de sa confection.
Arquebuse : alcool blanc non sucré (43°) issu de la macération et de la distillation de trente-trois plantes dont la gentiane et la verveine supposée régénérer le sang et aux propriétés digestives, “stomachales” et intestinales.
“Ego te absolvo” : “Je t’absous” (au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Théologie chrétienne).
VSOP : Very Superior Old Pale (désigne un cognac – calvados… – d’au moins quatre ans et demi d’âge).
Lager : type de bière allemande à fermentation haute.
C’est en 1974 ou peu auparavant que les PTT ont chamboulé le calendrier grégorien, ainsi tel saint dont la fête était célébrée en avril se voyait célébré en novembre. Une vaste translation dont je n’ai pas recherché les raisons ni le mécanisme était ainsi opérée. Noël restait inamovible, commerce oblige ! Et cependant c’est bien la date de Noël qui est, avec raison, remise en question par les théologiens modernes.
“Shame on you” : Tina et Cher (à la grande époque).
“Strangers in the Night” : 1966 par Frank Sinatra (originellement “Broken Guitar” d’Avo Uvezian).
“Ainsi font” : comptine anonyme du XVe siècle.


 
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   Anonyme   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Je ne comprends pas ce qu'apporte la mise en italiques du poème. Pour moi, elle est plutôt dommageable parce que, dans la mesure où j'attends "par défaut" des caractères droits quand je clique sur un texte en Espace Lecture, la présence des italiques me donne d'emblée une impression de pose, d'artificialité. C'est sans doute injuste.

Sinon, j'ai trouvé le poème inégal, avec tantôt des passages émouvants :
"Les ambulanciers l’avaient posé dans le couloir
Le long du mur
Sur le carrelage glacé
Puis s’en étaient allés" ou
"On avait détourné les yeux
Pour ne pas voir sa nudité
Comme ce fils de Noé" par exemple,
tantôt des passages qui selon moi ne font que rallonger sans apporter grand-chose :
"Ses derniers mots avaient pour moi
Pas pour mon grand frère
Qui travaillait avec lui" (en plus je ne comprends pas bien ces lignes, il me semble qu'il manque un mot : les derniers mots avaient quoi pour le narrateur ? [EDIT : entre-temps, le texte a été rectifié])
ou
"Notre comptable vint de la préfecture
Où il avait pignon sur rue" (pourquoi cette précision du "pignon sur rue" ? La profession de comptable, au départ, ne me paraît pas franchement clandestine).

Par ailleurs, je trouve dommage que chaque vers commence par une majuscule, selon moi cela contribue à raidir l'expression, à ajouter au côté "pose photographique" que créent déjà les italiques. Ce n'est que mon goût, rien d'autre.

Au final, je trouve donc que le poème n'atteint pas toujours son but si celui-ci est d'émouvoir, de toucher par le récit de cette mort, de cet enterrement qui manque selon moi de limpidité. J'ai cru reconnaître l'influence de Brassens ("Grand-père suivait en chantant / La route qui mène à cent ans...", superbe chanson de gouaille et de tendresse !), mais à mon avis ce texte en est très loin, l'humour et l'émotion n'y font pas bien mouche pour moi.
Et je le trouve trop long, ce qui n'aide pas.

   rosebud   
18/3/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est très beau, très digne, très élégant vis-à-vis de son père, je trouve. Je m'étonne de la date si éloignée du décès, ou alors ce poème date de cette époque, ou est-ce une bulle de souvenir qui vient crever à la surface?
Je trouve extrêmement original et réussie cette manière d'écrire un poème comme une chronique. Les détails insignifiants qui sont ceux qui restent dans ces moments si particuliers (la visite chez le médecin, le carrelage de la morgue, le dentier déboîté (magnifique), l'interdiction de pleurer à sa soeur, le salut franc-maçon, le cercueil debout), ainsi que l'évocation de tous les personnages sont merveilleux de concision.
Certaines tournures sont à tomber: tout le paragraphe de la sortie du cercueil est étincelante. Mais ma préférée:
"Jeux de chaises musicales
Où roquent les patriarches"
j'en suis malade de jalousie!

Passons à ce qui ne me plaît pas: les notes de fin sont plus qu'inutiles, elles sont gênantes. C'est même un peu prendre le lecteur pour un imbécile, de lui expliquer VSOP, arquebuse, lager, et "ainsi font". Je ne comprends pas d'ailleurs pourquoi l'auteur s'est senti obligé de sortir ce lexique, en se gardant bien de dévoiler ses petites ficelles dont il a parsemé le texte (dont le très subtil "Shame on them" - je m'en fous, moi j'ai compris). Bien entendu, l'effet aurait été désastreux. Je crois quand même qu'un si beau poème aurait pu se passer de la plupart de ces petits jeux de mots. Enfin, péché véniel - Ego te absolvo.

   David   
19/3/2013
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

J'ai eu l'impression que le décédé et son enterrement servait de pierre angulaire à des propos sur l'air du temps, sans mépris, mais un peu comme un "road movie" : une foule de personnages défile autours de l'histoire de ce mort. La lecture est assez vivante du coup, ce n'est sans doute pas un hasard qu'il y ait une telle activité autour de ce décès d'un "humble peu connu" à part de quelques proches, collègues, voisins. La poésie reste très près des actes, naïve ou cynique parfois, mais sans lyrisme, sans épaisses métaphores.

   leni   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Salut Brabant
Un texte qui se lit tout d'une traite Un film en réalité qui projette les images à l'aide d'une lanterne magique C'est plus vrai que vrai le regard est acerbe juste assez ironique dans le malheur Et il y a les satellites qui tournent autour du trépassé :des caricatures de la vraisemblance humaine De la comedia del arte?J'ai pensé à Zola aussiJe ne cite pas toutes les images Le chien m'a interpelé Superbe ,Ami Brabant,moment de lecture Je viendrai relire bonne journée Leni

   Pimpette   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Passionnément
Brab!

Ce texte est unique et chaque détail ajoute une émotion à la lecture....chaque personnage...chaque moment...C'est terriblement efficace sans oublier quelques sourires et sans aucune pleurnicherie!

Moi qui ai une foulée si courte j'ai cavalé à travers tes mots au point de devoir relire...

J'oublie le principal: ta tendresse pour ce personnage sans laquelle tu n'aurais pas pu écrire
...en tout cas pas comme ça

Chapeau Monsieur Brabant!

   tchouang   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
bonjour. oui c'est pas mal. on sent un vrai travail pour construire une atmosphère et suggérer des émotions. brabant doit beaucoup aimer joyce et pound, le côté chronique ou compte rendu factuel, et puis le gout des citations et des sous-entendus. mais bon, je préfère les choses plus simples et moins savantes. et puis parfois c'est un peu long et bavard, alors peut-être aurait-il fallu élaguer plus.

   Anonyme   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Tout en suggéré, avec des images emplies de finesse.
«  Puis on été rentrés giflés ». Juste un mot, le plus vrai. Pourrait-on mieux décrire l'état d'âme de ce moment ?
Et puis s'enchaînent une succession de tableaux pour relater tout ce qui se passe lors de cette situation.
En parallèle quelques allusions sobres sur l'état du noyau familial.
Une description sans pathos, précise, épaulée par une pointe d'humour amer, qui traduit bien les us et les faux-semblants qui se perpétuent au fil du temps...

Une belle étude de mœurs mais surtout un très bon texte que j'applaudis.

   Pouet   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
J'ai voulu lire, attiré par la présentation du texte car Cioran, j'ai presque tout lu, de "Précis de décomposition" en passant par "De l'inconvénient d'être né" ou autre "Syllogismes de l'amertume", "Le mauvais démiurge" etc etc...

Bon j'avoue être fort déçu par ma lecture. Déjà je ne vois pas ce qu'apporte la disposition en vers, ni le texte en italique.

Après je me suis "giflé" pour le coup afin de continuer ma lecture de ce texte fort long et fort ennuyeux selon moi.

Ce n'est pas de la poésie pour moi, ce texte écrit normalement en ligne passerait mieux dans une autre catégorie.

Des traits d'esprit comme "Etudier Kafka sans autre forme de procès"... Heu à part un Ah Ah Ah forcé... Je ne vois pas trop. Non désolé.

Pas convaincu du tout par cette mini nouvelle disposée en vers.

Une prochaine fois.

   Luz   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai trouvé très bien, original et sensible, mais peut-être un peu long.
En tout cas plein de belles choses "le pavé arasé de quartz et de mica", "le chien", le père sortant debout de sa maison comme il avait vécu, etc...
Merci.
Luz

   wancyrs   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà un texte plein de petites trouvailles, un texte qui raconte le deuil avec une légèreté déconcertante. Je me demande pourquoi le vers libre ? ça coupe le continuum d'émotion qu'aurait crée la densité de la mise en prose ; mais bon, chacun ses choix

Néanmoins très beau texte.

Wan

   troupi   
3/4/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↑
La mise en italique ? Après tout pourquoi pas.
Les notes à la fin ? J'ai plutôt apprécié même si certaines étaient peut-être superflues.
Cette poésie aurait gagné à être un peu moins longue.
Il me semble que l'accumulation des situations dilue le propos.
Certains détails semblent incongrus mais dans ces circonstances il y a toujours des détails incongrus,. C'est donc bien observé.
La première strophe annonce presque toute la suite, en ce sens elle ne pouvait pas être mieux écrite.

   Mona79   
4/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Là Brabant tu as fait fort : c'est la mort pour de vrai, celle sans fioritures (ou presque) la mort de tous les jours, celle que l'on croise pour ses proches une ou deux fois dans sa vie, avec les petits détails qui font sourire ou qui font mal et dont on se souvient toujours, ceux qui viennent hanter les rêves... après.

Ton poème (si poème il y a, oserai-je en douter ?) m'a plongée sans préambule dans cette atmosphère d'il y a... longtemps, mais que je ressens toujours comme une meurtrissure : la mort de ma mère. Pour toi ce fut celle du père avec ces précisions qui ne s'inventent pas et qui suscitent l'émotion toujours et à jamais présente.
Le chien, le dentier, les voisins, le curé, rien de manque au défilé macabre. Et ce mort qui doit repasser sa porte debout et non point les pieds devants, comme un mort "bien élevé", c'est la touche finale, l'apothéose.

Merci Brabant pour cette tranche de vie (si l'on peut dire !)

   Anonyme   
4/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il est vrai que les notes finales sont un peu superflues : péché pédagogique sans doute ! Je retrouve ce texte qui m'avait bien plu. Histoire touchante avec l'écriture des humbles pour une prose poétique qui m'a fait penser à "Familiale" de Prévert. Merci Brabant pour ce texte qui m'a empoigné jusqu'à son terme.

   alvinabec   
4/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Brabant,
Votre texte est réussi, à mes yeux, en ce sens qu'il est bien équilibré entre émotion pudique et drôlerie discrète. Voir les absurdités que le cerveau fixe sans s'en apercevoir au décours d'un drame, fut-il celui, intime ente tous, de la mort d'un parent pour un enfant.
Bcp aimé "la mort n'a pas l'oreille des cockers", le passage de "Le garagiste...je ris." et "Mon père sortit debout", à mon avis, le point culminant de votre poème.
A vous lire...

   Anonyme   
4/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut brabant... Un chemin de croix qui semble peut-être un peu long pour le lecteur et pourtant chaque strophe a sa raison d'être.
Pour ma part ça m'a fait penser à Breton, Aragon et Prévert mais aussi Paul Eluard... mais ce n'est en fait que du très bon brabant... J'ai, entre autres, retenu ces trois vers ...

Mon père sortit debout
De sa maison
Comme il avait vécu...

Poésie, pas poésie, la question est sans importance... C'est un texte fort et sans pathos, une de ces épreuves qui jalonnent nos existences en y laissant quelques traces indélébiles et tu as su en parler comme il fallait. Merci...

C'est

   Anonyme   
5/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Brabant,

Curieux objet littéraire. Mélange de narration romanesque et de fulgurances poétiques.
Jusqu'à présent j'étais convaincu que la poésie ne devait s'écrire que sans ponctuation. Nous sommes ici quelques-uns, de plus en plus nombreux, à pratiquer ce genre, en subissant toujours la même remarque, alors que c'est aujourd'hui une norme acquise, comme si moi je me mêlais de traquer les virgules et les points inutiles dans tout ce que je lis.
Alors peut-être que je peux crier victoire après cette lecture. Car je n'ai lu aucune interrogation sur l'absence de ponctuation, bien que nous soyons en présence d'un récit, certes mis en vers, mais d'un récit quand même, parfois très délayé, où la ponctuation pourrait sembler nécessaire. Victoire donc. Merci de ta contribution à ce dégraissage baptismal.

Curieux objet littéraire. Préfigure-t-il la versification du roman? Est-ce la solution pour ceux qui ne lisent qu'un bouquin par an, de se vanter d'avoir lu un roman + un poème?

Car poésie il y a. Eparpillée sans doute, mais difficile à exprimer autrement. Et j'ai aimé ce texte, baroque par le mélange des styles romanesque et poétique, par le délayage du premier et les ellipses du second :
- " Souffle désaccordé à mon pas", dès la première strophe, où l'ellipse de l'article nous fait tout à coup basculer dans la poésie, puisque la poésie se doit d'être un diamant plus pur que le roman.

Je ne vais pas reprendre tous les exemples.
J'ai beaucoup aimé ce qui fait la beauté d'un texte, le décalage entre le sacré, le rituel, la mort, et leur confrontation avec la vanité du monde, ce spectacle anecdotique où chacun fait son job . Plus cet écart est grand plus la comédie est humaine.

J'ai beaucoup aimé les ellipses à la fin de certaines strophes, détachées de la phrase qui précède :
- " Inhumanités / Strangers in the Night / Shame on them / Lui couperait-on les pieds ? / Il faut paraître encore / Combien de vices pour un cercueil ? / Ego te absolvo"
et j'en viens à regretter de ne pas les retrouver plus régulièrement.

J'ai beaucoup aimé certains calembours : " Combien de vices pour un cercueil ? " . Génial.
Un peu moins certains autres : " Kafka / procès "

J'ai beaucoup aimé l'opposition muette entre : " Etudier Kafka " qui nous renvoie à des humanités, comme on disait en parlant d'études littéraires, et " inhumanités " du vers suivant. Poésie riche de non-dits.

J'ai beaucoup aimé Procuste que je ne connaissais pas. La culture à la rescousse de la poésie. Bravo. Quelle belle référence. Petit ou grand, le cercueil est toujours taillé à notre mesure.

Je m'arrête, Brabant, tant il y a de choses à dire.
Curieux objet littéraire. A renouveler si tu veux me faire plaisir.

Ludi

   Anonyme   
25/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Alors, poésie ou pas poésie ?
Que de questions bien inutiles que parfois les gens se posent.
Mais revenons à cette cérémonie des adieux -cinq étoiles-
Pour moi, plus qu'un texte poétique, il s'agit d'un film de la grande époque du noir et du blanc. J'irai même plus loin : l'époque du film muet.
Les scénettes se juxtaposent comme un millefeuille, elles se visionnent un peu en accéléré, comme la cadence de ce texte à l'écriture "joyeuse" (pardonne moi Brabant, je n'ai pas d'autre mot).
Beaucoup de malice dans les effets. Les images cocasses interpellent mon imagination sans défense face à ce déferlement de portraits saugrenus. Cette étrangeté comique est comme une cimaise sur laquelle sont accrochés d'absurdes tableaux.
L'idée est bien plus que plaisante.
"Pictures at an exhibition"....

Quant aux italiques ou pas, petites notes en fin de texte ou pas...on s'en fout...mais qu'es-ce qu'on s'en fout !

   Bidis   
26/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Brabant a une écriture qui aide à écrire mieux, en tout cas, moi. Par exemple, j'ai dû aller voir sur le Net ce que voulait dire le mot "oncologue" (je ne le trouvais pas dans mon vieux Larousse). Il eût été plus simple et facile d'écrire d'emblée "cancérologue", c'est ce que j'aurais fait, mais cela affaiblirait le texte, peut-être par le fait qu'il est bien que le mot soit aussi, sans doute par le peu d'usage qu'on en fait, mystérieux comme l'est encore cette maladie...
- L'image du défunt abandonné sur un chariot dans un couloir ajoute pour moi à l'effrayante impression de solitude qu'évoque ce no man's land, entre le moment où l'on s'en va et celui de l'enterrement ou de la crémation. Tout dans ce texte est glaçant, la bise souffle entre ces lignes comme il souffle sous la porte dans le texte...
- Bien rendu aussi le malaise de voir déshabiller le mort. Un vivant nu peut engendrer la gêne mais un mort nu inspire une émotion bien plus forte, surtout s'il s'agit d'un parent proche.
- "Le propre des géants..." Ce passage m'a rappelé l'expression hantée par la culpabilité d'Henri III : "Il est encore plus grand mort que vivant"
- L'image du dentier que l'on remet en place est très forte et juste. Mais je ne suis pas d'accord avec "De quoi sert. Il faut paraître encore." On peut évoquer comme Proust "l'incroyable légèreté des mourants", mais l'image du visage d'un mort va demeurer dans l'esprit de ceux qui restent, elle est donc importante et il ne faut pas qu'elle soit entachée d'incongruité, voire d'horreur.
- Je n'ai pas compris : "La commune comptait trois grands malades".
- Interdire à la jeune soeur de pleurer rend le narrateur très antipathique (c'était induire un possible refoulement sur un deuil peut-être déjà difficile à faire). Mais c'est un personnage et le texte le rend aussi vivant que l'entourage, avec tous les travers et les bons mouvements dont nous sommes tous capables.
- "Le marchand de meubles ... m'en avait demandé quittance" : à quoi renvoie ce "en". On suppose que ce sont des meubles achetés mais là je trouve que l'ellipse va trop loin.
- "Pour mettre en avant son courage" et "ajoutait qu'il maçonnait plus vite que lui" : on suppose qu'il s'agit du courage du défunt et que c'est aussi le défunt qui maçonnait plus vite. Mais un pronom renvoie normalement au sujet de la phrase et c'est, à deux reprises, l'associé qui est dans ce cas-ci le sujet.
- Même remarque pour "le jour de sa fête". Le sujet est ici le beau-frère, or la confusion ici est encore plus importante étant donné que cette phrase renvoie au titre.

Un beau travail en tout cas.


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