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Récit poétique
Cyrill : Et la tête, alouette
 Publié le 24/09/21  -  10 commentaires  -  5411 caractères  -  269 lectures    Autres textes du même auteur


Et la tête, alouette



Manière de prologue


Maman repousse son assiette.
À sa bouche collent les miettes,
éminences d’un monologue.

Le chandelier, cireux aède,
déverse une lueur livide
creusant une profonde ride
sur son front, comme un intermède.

Lavé, l’affront.
Presque oublié
– un gâté sous une cerise.

Ôte son tablier taché de gourmandise.

Réminiscence amère qu’elle régurgite en pelote.

Comme une ultime note,
un fumet délétère emplissant tout l’espace
invite la mégère au souvenir vivace.


*



Elle avait un garçon d’un si docile usage, aimant et plus que sage, un tendre rejeton ;
une vie sans orage qui prit un tour dément au gré d’une étincelle.

Sans commisération pour sa maman fidèle, agile s’éleva l’enfant
pris de passion pour les avions et autre phénomène à ailes,
pour les hordes fières d’étoiles et autre apparition à voiles.

On le vit fuir la parentèle en gestes tremblants et frileux
puis s’envoler droit vers les cieux dans un mouvement de chandelle
et d’un élan jubilatoire déchirer dans sa trajectoire des nuages échevelés.

On le vit hagard, étonné, fendre l’air serein de midi en arabesques étourdies.

On le vit lorsque vint le soir, entre deux battements de cils, ombre déposée sur un fil comme un bémol aléatoire en point d’orgue sur la pénombre.

On vit sa silhouette sombre aller au cœur du crépuscule et voler comme un funambule jusqu’aux rivages de l’aurore.

On vit, dans une brise d’or, cet oiseau découdre les nues de son envergure têtue.

Et le ciel nonchalait encore lorsqu’il fut épris de zigzags, imprimant d’incroyables vagues aux nuances de la lumière.

On l’aperçut dans l’atmosphère, ondoyant au déclin de l’astre et titubant jusqu’au désastre, abasourdi dans la poussière,
recru de fatigue, haletant.

On le perdit au fil du temps.
Il voguait, porté par un rêve, agitant ses plumes sans trêve ;
ou planait, agile danseur, avant de piquer vers le sol pour mieux dilacérer l’éther en vrilles révolutionnaires.

Toujours à rebours des boussoles il avait l’élégance rare et de belles extravagances.
Il accordait un tintamarre au plus insondable silence, entonnant des trilles aigus, des harmoniques ambigus qui déambulaient vers le grave.
On écoutait son chant suave aux confins de la Galaxie ;
ses lignes de chorégraphie effleuraient parfois les Pléiades.

L’Univers entier fut sa promenade.

On le vit, bravache, ignorer la Terre.
On comptait ses vols en années-lumière et la Voie lactée était son repère et son port d’attache.

Mais l’assuétude est fleur carnivore.

Hère sans patrie et sans habitudes,
il put survivre météore en contrepartie de la solitude.
Il eut de tenaces errances dans les rougeurs d’Aldébaran
mais les hasards de son gréement ligués à la désespérance eurent raison de ses possibles.

Libre lui fut inaccessible.

Cœur indifférent, cœur sensible, oiseau aberrant divague et murmure ;
vacille et chancelle entre azur cruel et monde blessure.



Ce fut le corps rompu qu’il scella son destin ;
les ailes éphémères et l’âme irrésolue qu’il gagna l’atmosphère et ses frères humains.



Tout arriva dans un soupir, nul n’eut le cœur à réagir.

Par un clair matin de novembre le garçon regagna sa chambre,
affligé de fièvre et le bleu aux lèvres,
remuant à peine et la peau diaphane.

Maman actionna d’incroyables pênes,
de lourdes chicanes,
des boutons de porte et interrupteurs.
Tourna chaque clé de gros cadenas.
L’endroit fut prestement bouclé, sans embarras d’aucune sorte.

L’oiseau sur son cœur en nature morte, maman l’amena jusque dans ses draps.
Il disait au loin des phrases sans suite, les yeux babillant d’étoiles fortuites.

Mille fois de l’heure elle donnait des soins, tel un tourbillon.
Lui fit des bouillons, des duvets de plumes.
Des remèdes contre le rhume et des oléfiants.

L’enfant grelottait – le regard saillait de son doux visage – ânonnant les sons d’un secret langage.
Il était question de constellations, de contrées sauvages.

Maman suspecta des enfantillages.
Une indigestion.
Une crise d’asthme.

D’onctions en cataplasme,
de miasmes en infusions défilaient les semaines.
Ça puait la bourdaine, fleurait la camomille.

Maman était gentille,
l’enfant silencieux.
Maman était aimante,
son fils mystérieux.
L’enfant était bilieux,
maman resplendissante.


*

En forme d’épilogue


Par un soir de mauve-marine
maman s’assoit dans la cuisine,
comme sidérée par des drogues

– toute rôtie dans son assiette
gît une bête.

Elle glisse sa serviette au col d’un tablier.

D’un geste familier
empoigne sa fourchette, agrippe son couteau.

Croque l’oiseau.
Même la tête.
Même les os.

Se lèche les babines.

Dieu ! qu’elle a bonne mine.


 
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   Anonyme   
6/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ouh ! Ça arrache je trouve. Une allégorie puissante et cruelle de la mère castratrice, voilà ce que je lis. Les poèmes en manière de prologue et en forme d'épilogue sont tout simplement parfaits à mes yeux. Le récit en lui-même percutant (dans le sens où j'y entends les percussions), rythmé. Mon goût le souhaiterait un peu resserré, c'est mon goût.

Et belle idée à mon avis, les poèmes présentés centrés et en italique : une telle disposition évoque plutôt la délicatesse, le raffinement. Le contraste avec l'horreur révélée du propos la fait, me semble-t-il, d'autant mieux ressortir.

   papipoete   
24/9/2021
bonjour Cyrill
Je suis bien loin vous lisant, des paroles de la chansonnette, et si je retiens que cette maman aime son enfant, à sa façon... j'avoue me perdre en chemin, malgré les petits cailloux blancs que je sème derrière moi !
Mais votre texte représentant pour moi, un immense travail d'imagination et une présentation digne d'une pièce de théâtre ; avec le cadre installé, son scénario se déroulant et l'épilogue à méditer, je me doute que les passionnés du genre, sous vos lignes viendront s'en délecter !
Non content de narrer, l'auteur en prologue et épilogue, se permet de versifier en octosyllabes, puis descend d'un octave, puis remonte dans la gamme !
On en voit de toutes les couleurs !
Bravo pour l'exercice !

   Pouet   
24/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Salut,

mais que voici une splendide poésie...

Une "histoire" fantasmagorique d'un réel ébréché où semblent se mêler un Icare aux escarres de désamour maternel, de déviance maturée, une plongée dans le ciel fiévreux d'une liberté grelottante, des sentiments phagocytés à coups d'étouffement, cette mère étale noyant sa progéniture dans sa destructrice folie... J'y vois ce genre de choses pour ma part.

Très belle écriture.

Un texte qui mérite certainement qu'on y retourne.
Inventif, puissant.
En tout cas moi, j'adhère vraiment.

Bravo.

   Corto   
24/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Impressionnant !
Il serait trop simple de résumer ce texte à un tête-à-tête entre mère et fils car chaque personnage a droit à une description crue et embrassée d'excès en tous genres.

"La mégère" est terrifiante et le lien entre le prologue et l'épilogue suffit à lui seul à faire frémir d'horreur.

Le fils "garçon d’un si docile usage" est décrit avec virtuosité, dans ses passions, ses tourments, ses rêves, mais le sommet "Libre lui fut inaccessible" scelle le trop, l'impossible, pour lui qui en était pourtant porteur.

Ce tableau est d'une richesse remarquable mais "Tout arriva dans un soupir, nul n’eut le cœur à réagir."

Un texte d'une telle richesse est exceptionnel.

   hersen   
24/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Un texte d'une très grande puissance, autant dans l'envol du fils que dans la mère castratrice.

Je n'ai rien, vraiment rien à ajouter, si ce n'est que des textes de cette envergure sont rares ici, alors vraiment, merci de l'avoir proposé à Oniris !

Je suis stupéfaite que la lecture se fasse toute seule, elle happe, d'arabesques en plein vol jusqu'aux aux os croqués, même la tête.
C'est un texte qui parle admirablement de cette cruauté.

Un très grand merci pour cette lecture !

   Eskisse   
24/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Cyrill,

J'ai aimé suivre la trajectoire cosmique de cet enfant avide d'émancipation. Le rejet du réel, quand la réalité est insupportable, me parle. Et la chute vers la mère-ogresse avide de cadenas est terrible.

"Danseur", "funambule", cet être du mouvement défie l'espace d'un temps, la pesanteur de la mère.
Comme un fantasme de fuite.

Un apologue pessimiste magnifié par l'écriture.

   AlexisGarcia   
25/9/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Cyrill,

Ce qui me séduit d'emblée dans votre poème est sa composition. Le récit poétique ici confine au théâtre. Votre prologue et votre épilogue ont des airs de jupon de grand-mère, et un relent dix-neuvième. J'entre ensuite dans la texture de l'historiette, et je découvre au détour des strophes des trouvailles langagières qui attestent un talent : "miettes,
éminences d’un monologue.", "Le chandelier, cireux aède", "hordes fières d’étoiles" pour en citer quelques unes. En revanche, l'expression "comme un bémol aléatoire en point d’orgue sur la pénombre." est à mon esprit un peu longue, je l'eusse condensée en par exemple " comme un point d'orgue aléatoire en la pénombre". Merci aussi de rétablir dans sa beauté l'oublié "nonchaler" qui me titille : une possibilité de texte variant le vôtre sans doute.

   Vincente   
25/9/2021
J'ai trouvé l'intention excellente, d'une ambition à pâmer d'étonnement un jeune enfant, et à séduire la plus attentive grande personne sensible à cette univers onirique passionné chargé d'une pesante relation "maternisante" à l'outrance…
L'enfant se laisserait emporter par les trois parties du récit, écartant là ce qui le dépasse comme autant de suggestions mystérieuses, prémices de l'aventure dans le prologue, et retour dans l'entre-monde, quasi réaliste, que lui raconte son imagination dans l'épilogue.
Car c'est bien l'enfant le narrateur, se signe dans les trois parties cet inclinaison du regard par l'appellation "Maman" qui revient maintes et maintes fois.

J'ai bien aimé l'orientation structurale du récit qui prend le parti, les atours en quelque sorte d'un conte théâtralisé. La mise en scène investit l'histoire par une sorte de prélude en voix off de l'enfant, comme une souvenance troublante et troublée, qui ouvre sur le récit à proprement parlé. Celui-ci raconte alors presque clairement l'advenue émotionnelle, elle semble en effet tout droit issue d'un rêve au grand voyage fantastique. Et puis à nouveau dans le final, la parole revient à une sorte de réaliste mais désormais cru et dérangeant, un genre de retour sur terre qui par le biais de l'oiseau en ripaille confirme la mort de l'échappée et infirme le rêve à tout jamais ; j'ai vu le dernier vers confirmant cela.

J'ai été intrigué par le prologue, emporté avec bonheur puis malheur dans le conte, et enfin assez désabusé par le final. Ce parcours a, il me semble, bien suivi les pas de la proposition mais pourtant me laisse une impression de discordance entre ses trois moments d'écriture.
Le récit en lui-même est savoureux dans le mouvement, les images suggérées, je peux même dire affichées, si parlantes dans leur extensible et inouï aventure. De même que dans nombre de singularité lexicales ; j'ai savouré par exemples ces jolies idées :

"On vit, dans une brise d'or, cet oiseau découdre les nues de son envergure têtue.". Proprement superbe !

"Et le ciel nonchalait…", une bien belle trouvaille, tout comme "…, avant de piquer vers le sol pour mieux dilacérer l'éther en vrilles révolutionnaires."

"L'univers entier fût sa promenade.", j'aime beaucoup ce vers équilibré, abouti dans son évocation, il marque aussi la fin du crescendo des advenues mirifiques, il annonce le "descente" narrative, on le découvre juste après et elle s'accentuera ensuite, jusqu'à cette fin fermée, enfermée dans l'absolu de ses impossibilités.
Ainsi la phrase "Libre lui fut inaccessible" vient plomber sensiblement l'avenir en question ; phrase bizarre avec "libre" employé à la place d'un plus conventionnel "La liberté" "lui fut inaccessible", elle m'a gêné et puis j'en ai assimilé le dérangement imposé au malaise immiscé, comme en partage proposé.

Quand cette partie centrale, ce corps du récit entré dans le corps de l'enfant avoue son dernier paragraphe, en six vers progresse une dichotomie terrible entre l'état mental de la mère et l'état général de son fils, elle déchire l'amour et la filiation rassurante, "L'enfant était bileux, / maman resplendissante". L'épilogue chante la triste et paisible stabilité, monotonie douloureuse, qui s'est réinstallé ; ce vers quoi l'enfant s'était échappé dans son voyage magnifique désormais écarté, rassure là la mère mais éteint l'enfant…

J'aurai du mal à mettre une évaluation car je me sens partagé. Il y a une intention conceptuelle et un conte passionnants, justifiant sans doute un "passionnément".
Et il y a une présentation à mon sens graphiquement trop marquée, l'on entre dans une forme qui se montre trop guidage narratif. Et d'autre part, la formulation de ces poèmes d'ouverture et de fermeture (alors qu'ils "prennent de la place" dans le propos, ils ne sont pas discrets et innocents), m'est apparue peu "accueillante", en particulier le prologue. Il évolue dans une déroutante expression qui suggère de façon si peu suggestive, si je puis dire, que ensuite quand advient le récit, j'ai eu la sensation de (re)commencer une lecture spécifique.

J'ai donc beaucoup aimé l'ensemble mais j'ai un peu ressenti "un gâté sous une cerise." dans la perception globale de l'évocation générale ; je ne parlerais pas de manque de lien, car ils sont tangibles, mais plus d'un manque de souplesse dans les enchaînements émotionnels dans lesquels se meut le lecteur en ces trois parties si clairement annoncées.

   Anonyme   
26/9/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Une envolée au pays de l'horreur qui percute, servie par deux poèmes à la clé : un qui ouvre le bal, l'autre pour le clore, « même la tête, même les os »...

C'est magistral dans l'éloquence, avec des mots qui vous font monter haut dans les étoiles en compagnie du « (le) garçon d'un si docile usage... », et des images poignantes plein les mirettes. On pourrait presque errer avec lui « dans les rougeurs d'Aldébaran » (sans que je sache pourquoi, ce passage, avec ses airs exotiques, interplanétaires, me fait planer encore plus) et ses rêves où il s'évade et se réfugie tout en douceur. Car on ne sent aucune révolte chez cet enfant.

Une de mes phrases préférées, mais il y en a tant :
« et le ciel nonchalait encore lorsqu'il fut épris de zigzags, imprimant d'incroyables vagues aux nuances de la lumière

Je ne comprends pas du premier coup l'histoire sombre qui se trame, mais je suis saisie par l'ambiance puissamment dramatique qui flotte en permanence dans ma lecture.

C'est vraiment du bel ouvrage. Merci Cyrill.


Cat

EDIT : cette histoire me poursuit après lecture. Il m'a semblé comprendre dans le poème prologue, que la mère avait subi un affront « … presque oublié – un gâté sous une cerise », qui expliquerait pourquoi elle a rendu l'enfant malade de sa mère, atteinte peut-être du trouble psychopathologique de Münchhausen (?).
Je suis peut-être à côté de la plaque, mais il me semble que je peux mieux pardonner à une mère dérangée... sous-entendu, qu'on peut soigner pour qu'elle redevienne une maman simplement aimante.

   Cyrill   
28/9/2021


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