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Récit poétique
Cyrill : Les feux du lampadaire
 Publié le 25/06/21  -  6 commentaires  -  4253 caractères  -  128 lectures    Autres textes du même auteur

« La noce est jamais pour leur fiole,
Parole, parole,
La noce est jamais pour leur fiole. »

Georges Brassens.


Les feux du lampadaire



Rappelle-toi le soir où les chats de gouttière tenaient conciliabule autour d’un lampadaire à la clarté falote.
Où les potes comptaient les capsules de bière pour gonfler le magot, histoire de se payer un peu plus qu’un mégot réchappé du trottoir.
Un tube jaune et blanc cerné d’un fil doré,
fin comme une poupée, le bout incandescent.

Nuage de fumée,
volute immaculée qui ment comme une pute.

On mégote parfois, on cherche un peu la lutte ou la déverrouillée
mais c’est si bon d’y croire !

Alors que l’échappée est belle comme un pneu on ne veut pas la voir.
On voudrait toujours mieux,
un peu de flambant neuf au lieu du rechapé.

Elle arrive sans laisse.
On se laisse emballer par son regard canaille, sa mine peu farouche ;
par ses clins de deux yeux au-dessus d’une bouche au sourire édenté
comme un vieux tiroir-caisse qui baille ses billets dans un bruit de mitraille.

Maîtresse à particule ou princesse déchue, que sait-on de ses vues ?
Afin d’en faire le tour on la toise,
on calcule.
On tâte les contours que des mains apprivoisent
et les faiblesses issues de la déconvenue.

Ah ! méfiance et sagesse du nécessiteux.

On lui froisse les ailes façon dernier modèle avant de la lâcher,
libellule qu’on dresse aux couleurs de la rue,
pure coquecigrue qu’on flatte et qu’on accule à la grâce de Dieu,
du moins si rien ne foire.

Ça casse pas un œuf entre deux doigts calleux sur un bout de comptoir,
mais il faut bien y croire !

La gueuse a présenté ses titres de noblesse et sa paire d’attraits.
Elle n’a rien d’une ogresse.
Rien qui justifierait qu’on veuille la chasser, qu’on sonne l’hallali.
Elle est plutôt jolie si l’on ne compte pas l’échelle au bas qui blesse, où la bourgeoisie cesse et la lie à la lie.

Il a fallu qu’on creuse,
qu’on cherche les instants où elle virait heureuse.
C’est quand elle avait bu sa ration de bibine,
avalé ses sardines,
qu’elle vous contait sa vie d’avant la décadence,
vacillant sur ses hanches.

Un battement de cil, et plus de domicile.
Ça vous retombe pile sur le coin de la gueule et c’est à n’y pas croire.
La fille dévalue, que l’on disait bégueule ;
fichue,
montre une fesse, un sein de la Madone.

On ne donne pas cher pour que sa chair frissonne au grand vent des promesses.
Il suffit qu’on l’abreuve avec un peu d’adresse.
Pas besoin de la Veuve, un kilo de gros rouge et y a plus rien qui bouge.
L’épreuve est un succès.
Elle en oublie son nom, son renom, son adresse, à part celle du bouge où elle s’est arrimée.




Pour preuve ma personne à moitié comateuse, émergeant de l’éther où mon cœur papillonne.
Mon esprit délibère entre image gazeuse et sons qui s’articulent.
Les poches de mon jules dégorgent sous mes yeux, avides de biftons.
Adieu roses bonbons,
bonjour la vie en bleus.

S’agissant du turbin, ne pas louper le coche.
Ni le quignon de pain.
Ni la main baladeuse.

Il faudra repasser, les soirs emplis de liesse et les croissants de lune ne sont pas pour ma poire.

D’ailleurs elle est gibbeuse, les coups rédhibitoires.

Si on veut s’arracher – désir aléatoire – on a besoin de thune.
De flouze.
De pognon.
C’est du moins ce que réitèrent les preux velléitaires, les bilieux téméraires.
Les frileux qui se donnent des airs.

On dirait la chanson sortie d’un limonaire
et c’est si bon d’y croire en claquant du talon,
juchée sur ses perchoirs,
adossée contre un mur où s’enlacent les tags.

Ma fille, tu divagues,
blouse déboutonnée sur petit cœur de blues…





Les vagues de la Loire ont englouti la bague ôtée de l’annulaire.
Et vogue la fiancée que les eaux ont gonflée.

C’est la fin de l’histoire,

elle était éphémère.

Et les chats de gouttière s’égaillèrent soudain, en tâchant d’éviter les feux du lampadaire.


 
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   Anonyme   
14/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce rythme entêtant d'hexasyllabes regroupés souvent en vers de dix-huit syllabes parlées (je salue aussi
Si on veut s’arracher - désir aléatoire - on a besoin de thune.
De flouze.
De pognon.
18 + 3 en s'appuyant sur flou-zeu + 3 = 24, deux dodécasyllabes) convient à mon avis très bien au sujet. Le sordide n'est pas escamoté, il y a de la force dans ces périodes, voire de la rage, mais la poésie est bien là. Je trouve la dénonciation du sort affreux réservé à la fille dupée, exploitée, menée au désespoir et à la mort, bien plus efficace que dans la chanson de Brassens citée dans le chapeau, qui garde un côté bon enfant, railleur. Rien de tel ici, ça tape. Je me dis qu'un poil resserré ce récit serait peut-être encore plus percutant, mais c'est ma marotte.

   jeanphi   
4/2/2023
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Commentaire modéré

   hersen   
25/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
C'est un texte qui fourmille.
Sur ce sujet, c'est exactement ce que j'attends : un ton, un de ceux qu'on ne lit pas habituellement.
La description d'une cigarette, un tube fin comme une poupée.
Et le reste suit.
C'est un texte qui ne repose pas le lecteur, il découvre des étrangetés de comment les choses sont dites.
Et c'est tout à fait ça : comment dire les choses, qui fait une différence phénoménale.

Merci pour ce texte !

   Vincente   
26/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La balade, tout ce qu'il y a de plus trivial, est savoureuse. Le ton du récit se donne de bonne grâce comme la fille de joie consciencieuse se prête à son client, mais en plus celle-ci est rigolote, "sa mine peu farouche" "n'a rien d'une ogresse", même si "ça casse pas un œuf entre deux doigts calleux sur un bout de comptoir", "il faut bien y croire". Ainsi "il a fallu qu'on creuse, qu'on cherche les instants où elle vivait heureuse" ; les images apparaissent plus affirmées, puis voici, dans le passage en italiques, directement énoncé par la narratrice prostituée qui alors prend la parole dans l'état d'esprit qui l'anime et la "justifie"…

Ce texte qui part d'une réminiscence situationnelle, ces "chats de gouttière", etc… puis rebondit sur cette "volute de fumée qui ment comme une pute". Insolite cette "pute" ici, portée dans l'évanescence de son nuage, mais pourtant c'est bien ici que le lien, l'association d'esprit va se mettre en branle dans la pensée très vagabonde du narrateur. Ensuite son dévers pensif va y aller de bon cœur, mi trivial, mi goguenard, mais tout-de-même attentif à sa sujette et assez philosophe pour considérer sa condition particulière.

J'ai aimé suivre cette liberté dans l'évocation, comme directement inspirée par une pensée "humaniste" en goguette, soucieuse de l'autre, qui plonge au cœur du "dur" de l'humanité ; des souffrances, des difficultés, des besoins et puis des échappatoires, rêves, faux-espoirs, mythes, etc… jusqu'à ce "mais c'est bon d'y croire". La condition respective de la prostituée et de son client est le vecteur de cette "histoire éphémère", mais reconnaissons-y bien des similitudes avec celles de la vie dans ce qu'elle comporte de plaisirs, de déceptions, de "subterfuges", et d'éphémérités s'y énonce.

J'ai trouvé cette phrase assez douteuse, voire capillotractée : "Alors que l'échappée est belle comme un pneu on ne veut pas la voir". "belle comme un pneu" bof !?
Par contre la proximité sonore "échappée/rechapée" m'a amusé et plu par la percussion de leurs deux connotations éloignées mais collaborantes ; la chape qui pèse et fonde face à l'échappée qui s'en évade… !

J'ai souri à l'enchaînement : "Elle arrive sans laisse. On se laisse emballer…".
Amusante aussi cette phrase qui s'achève sur une sorte d'impasse expressive, un peu lourde mais rigolote (le ton qui s'est affirmé depuis le début, de fait la permet) : "Elle est plutôt jolie si l’on ne compte pas l’échelle au bas qui blesse, où la bourgeoisie cesse et la lie à la lie.".
Douce rigolade aussi après "elle avait bu sa bibine / avalé ses sardines", même si la causticité de l'évocation reste assez acerbe et si je peine à ne pas me sentir coupable d'avoir ri.
J'aime bien le clin d'œil à la "Veuve" Clicquot, un champagne inutile quand "un kilo de rouge" peut faire l'affaire…

Le passage en italiques est tout un poème, bien écrit, dans une scansion habitée et une tonalité gouailleuse à ravir, d'une véracité impérieuse. Bravo.

   Cyrill   
24/7/2021

   AlexisGarcia   
21/8/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,
Dès le premier vers étrangement long, l'adresse au lecteur capte notre attention. C'est un peu comme si nous étions nous aussi en la rue, et que par l'entremise du poète, la fille de joie expérimentée entrait en communication spirituelle avec nous. Grâce à ce biais, sa vulgarité est acceptée et participe même de l'ambiance poétique : la rencontre des mondes. Les ruptures lexicales ne nous choquent pas. Elles sont pour le moins un exotisme de ce genre de personne, pour le plus elles révèlent une profondeur à visiter.
Bonjour,


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