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Poésie en prose
Ethimor : Éclyse
 Publié le 01/02/17  -  11 commentaires  -  2149 caractères  -  160 lectures    Autres textes du même auteur

Volute de l'ennui.


Éclyse



Tout peut bien s’effondrer il restera là, à l’entre-deux.

Au recommencement la nuit gobe la ville, nuit noire et sans reflet au-dessus de l’église. Rond de vin !… Saoul comme un hic !… Le ciel tournoie, valse, verse la pluie qui tape là, contre le flanc du christ et toque. Toque qui voudra. Frappe à la tuile le corbeau qui toujours noir, noir corbeau et blanc au bec (avec ses plumes de corbeau et son cœur d’enfant), joue les blancs-becs et fouille le toit.

Là-haut, il piétine le faîte où crèche une croix que les bourrasques inclinent. Elle penche, chevrotante, comme embarrassée du ciel qui mirage et s’enivre au comptoir de l’église – Ô charognard ! Danse et croasse… ! Secoue tes ailes… ! Dépèce la toiture… ! Dévore la charpente et perce l’église alors qu’à l’instant la tempête t’honore de ses rythmes brouillons.

Zbrîîîî.… !

Baaam… !

Frsshhh… !

C’est l’orage, c’est le tonnerre et c’est la pluie – c’est un orchestre tout entier dans le ciel éventré. Et là, derrière un nuage, des instruments gravés en portée par le vent : sur le pavé les cordes clapotent en chœur ; cuivres et bois s’engouffrent dans l’église et chuchotent à l’orgue un air inconnu.
Mais vite le marasme et la boue dans les rues : l’harmonie, et puis l’angoisse, l’ennui qui moque l’aube.

Alors, attendues et grossières, les cymbales et les caisses claires (comme autant de coups de tonnerre) cassent et décrochent la mesure, éclairant le ciel à contretemps et le cloître à demi, et dans la nuit déconcertée la porte de l’église – porte muette, porte condamnée, dont les gonds se rouillent de haine et jalousent dans leur coin tout ce qui dehors peut encore grincer ; nostalgique la grande porte de chêne rongée par les mythes ; nostalgique et seule, avachie sous le poids des roches, croquée aux extrémités, elle agonise la porte immobile – et la nuit l’assassine.

Mille ans ont passé et rien ne reste que la pluie et les murs qui s’égouttent.
Ça pleut.
Ça suinte.
Lentement, jusqu’au carrelage sans damier.


 
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   silvieta   
20/1/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Des images fortes et des sonorités violentes (en particulier les claquements et craquements produits par le son /k/) qui s'incrustent dans le ressenti des lecteurs.

Le style est magnifique et le "ça" approprié.

Il se dégage du poème une impression de spleen sur fond mortifère. On songe aux écrits de Baudelaire et à Hurlevent.

Les onomatopées ( "zbriii" "baam" etc ) me semblent de trop et font perdre au texte de sa puissance en le réduisant sur trois lignes à l'état de bande dessinée. Les phrases jouaient parfaitement ce rôle onomatopé-hic.
Heureusement que le poème renaît vite de telles cendres.

Un très beau texte sur un monde intérieur et extérieur qui s'écroule.

   Arielle   
1/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte intrigant qui joue sur les mots et les sonorités avec bonheur.

Déconcertée par le titre je me suis penchée sur cette notion de l'entre-deux, de cette ruine capable de faire encore résonner ses orgues, un drôle de zèbre en définitive qui se cache derrière "la grande porte de chêne rongée par les mythes" usé, décoloré par les pluies au point que son carrelage en a perdu ses damiers.

J'ai bien aimé la débâcle de ces murs plus solides qu'il n'y parait. J'ai cependant moins aimé les zim, bam boum qui défigurent un peu l'édifice comme le feraient des graffiti

   Robot   
1/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je ne connaissais pas le terme Eclyse. Il s'agit donc d'une faute musicale "si j'ai bien compris !".
Donc un titre un peu recherché mais dont le sens me paraît tout à fait adapté à cet orchestre dissonant dont j'ai apprécié l'écriture.

   Annick   
1/2/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Des jeux de mots et des allitérations, des termes qui chuintent, claquent, virevoltent, un style aisé, un orage plus métaphorique que réel. Une performance d'écriture mais je n'ai pas réussi à m'approprier cette nuit, cet orage, cette église, cette porte car la technique, bien que parfaitement maîtrisée, affleure, est trop visible, au détriment de l'émotion et du sens.
A vous relire.

   Brume   
1/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Ethimor

C'est magnifique.
Il se passe pleins de choses dans votre poème! C'est tellement expressif, bruyant, particulier...j'en perds mes mots. La pluie, le corbeau, la porte..tous ces "personnages" sont beaux à voir et à entendre.
Et puis j'adore le ton, ce petit grain de folie agrémenté d'onomatopées.
L'atmosphère est inquiétante mais pas pesante.
Une nuit magique. De la musique en freestyle. Merci pour les sensations.

   Anonyme   
1/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'aime beaucoup ce que je viens de lire. Le style singulier crée de lui-même une ambiance particulière. Le thème s'y prêtant, la mayonnaise poétique prend.C'est pétillant, vivant, en même temps que sombre et profond. Des images très biens construites. Bravo!

   Raoul   
4/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte tout de percussions sonores en bouche, et d'images authentiques, ruisselantes. En transpire une atmosphère qu'on sent vécue, profonde.
Difficile d'exprimer la pesanteur de façon aussi ténue tout en restant "léger", dans cette courte prose, ça "fonctionne" vraiment très bien.
Un vrai feu d'artifices - qui n'en sont pas - "brîîîî.… !
Baaam… !

Frsshhh… !
"
Merci pour cette lecture.

   jfmoods   
5/2/2017
Au niveau de la forme, un grand nombre de procédés sont à la manoeuvre pour assurer l'expressivité maximale de ce poème en prose. On peut mentionner notamment...

- la ponctuation (points d'exclamation, de suspension, deux points, tirets)
- l'apostrophe ("Ô")
- les déictiques ("là" x 3, "Là-haut")
- le présentatif ("c'est" x 4)
- la forme familière de l'adjectif démonstratif ("ça" x 2)
- les onomatopées (" Zbrîîîî.… ! Baaam… ! Frsshhh… !")
- le pronom cataphorique ("elle agonise la porte immobile")
- l'inversion du sujet ("Frappe à la tuile le corbeau")
- le recours à l'impératif (" Danse et croasse… ! Secoue tes ailes… ! Dépèce la toiture… ! Dévore la charpente et perce l’église")
- deux phrases nominales ("Rond de vin !… Saoul comme un hic !…")
- le chiasme ("le corbeau qui toujours noir, noir corbeau")
- les allitérations (k, f/v, p/b)
- les assonances (é/è, en)

Venons-en à présent au fond. Le choix du titre semble avoir été dicté autant par le sens d'un mot peu connu (Éclyse) que par sa proximité sonore avec un autre (Église). La religion chrétienne opère la jonction entre la terre et le ciel. L'éclyse, elle, consacre l'idée de la discordance. Un champ lexical abondant marque la lecture : celui de la musique. Tous les groupes d'instruments de l'orchestre sont ici convoqués (les cordes, les bois, les cuivres, les percussions). Cependant, l'impression qui subsiste est celle de la cacophonie, de la dispersion, chacun jouant de son côté sa propre partition ("rythmes brouillons", "décrochent la mesure", "à contretemps", "grincer"). Dans la symbolique chrétienne, le corbeau est un oiseau de mauvaise augure. Il est associé ici à l'idée générale de déliquescence d'une institution, de la destruction de ses valeurs ("piétine", "charognard", "Dépèce", "Dévore", "Perce"). Le thème de l'eau qui tombe jalonne la perspective, comme une malédiction qui s'abattrait avec ses éléments déchaînés ("bourrasques", "tempête", "orage", "tonnerre") et ferait lentement pourrir l'édifice tout entier ("les murs qui s'égouttent", "Ça suinte."). L'image de la porte est prégnante. Point de jonction entre l'homme et dieu, elle devient ici un point d'inexorable achoppement (gradation : "porte muette, porte condamnée", personnification : "elle agonise la porte immobile", glissement homonymique d'un mot avec passage du sens propre au sens figuré : "la grande porte de chêne rongée par les mythes"). Une image marque particulièrement l'attention : celle du "ciel éventré". Cette religion, qui jadis nous berçait, est devenue caduque. L'église mise en scène ici n'est plus que l'enveloppe creuse d'une histoire lointaine, sanglotant sur ses ruines (gradation : "nostalgique", "nostalgique et seule", constat sans appel : "Mille ans ont passé"). La nuit, présente en début et en fin de texte sous la forme d'une prédatrice ("La nuit gobe la ville", "la nuit l'assassine"), empêche le surgissement de toute lumière. L'image de "l'entre deux" semble définir le statut de l'être humain pris en tenaille entre une vie dépourvue de sens (phrases nominales suggérant une fuite vers les paradis artificiels de l'alcool : "Rond de vin !… Saoul comme un hic !…") et un après introuvable.

Merci pour ce partage !

   Meaban   
5/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
j'ai immédiatement pensé a l’église de Berlin qu'on appelle la dent creuse, l'aspect orchestral de l'orage m'a beaucoup plu , le texte me faisait envisager la musique

et puis l'analyse de jf moods par dessus ....

beaucoup aime

   Kytsuh   
6/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un bien beau titre "Eclyse" !
J'ai beaucoup aimé votre façon de jouer avec les mots et les sonorités. On aurait dit que le texte prenait vie lors de la lecture sous une forme monstrueuse, craquant, grinçant, sous les yeux. C'était prenant et je n'avais jamais eu d'expérience comme celle-ci auparavant, merci !

   Anonyme   
6/2/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonsoir Ethimor,

J'ai dû aller à la recherche du mot "éclyse" - n'y connaissant rien en musique - pour mieux comprendre le sens (caché ?) de ce poème que je trouve admirablement bien écrit. Ainsi je considère les "Zbrîîî... ! ; Baaam... ! et Frsshhh... !" comme des notes de musique jouant leur partition à l'instar de la tempête qui s'abat généreusement sur la toiture et autre carillons de cette église millénaire.

Bravo !

Wall-E


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