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Récit poétique
Marceau : De profundis
 Publié le 29/07/25  -  6 commentaires  -  2956 caractères  -  57 lectures    Autres textes du même auteur

« Suave mari magno… Qu’il est doux, quand sur la vaste mer la tempête déchaîne ses flots, d’assister depuis la terre aux pénibles épreuves d’autrui. »


De profundis



J’ai œuvré pour qu’éclosent vos talents fructueux. Vous vous prêtâtes au jeu et, preste, m’assassinâtes et voulûtes me réduire en somme en charafi, en destin dérisoire, en ridicules décombres. Ruine d’homme je sombrais, selon vos chers désirs, et me voilà couché, loque parmi les loques.

Ci-gît donc mon épave où des gorgones poussent, où l’hippocampe expulse sa portée chevaline. Comme bien des vaisseaux, je repose par les fonds, en mes eaux opalines chahutées par les flots, je suis l’abri qui rouille et protège vos vies, dans mes soutes salées sombrent mes illusions tandis que dans mes cales des munitions vaincues vivent le crépuscule des forces abattues.

Des balistes titans dégustent quelques huitres à ma table si grande en sa pénombre bleue, et l’anémone-poison offre gîte à ses clowns. Des prédateurs encerclent cette arène gourmande.

Comme l’on me juge échoué aux grands écueils du monde ! Le goémon m’englue, vous guettiez ce naufrage. Tortue broute ces algues sur mes flancs morts couchés et requin fait profit d’un squelette nourricier ; ma caverne d’acier danse et veille sur vos vies quand rôdent des géants hérissés de menaces, en mes restes se trouvent le loup et la rascasse.

Détritus dévoué, les grandes gueules des narquois se moquent bien de moi, pur hasard de la vie, hagard de tant d’effroi, seul l’homme cannibale méprise ainsi sa proie.

J’héberge la baudroie, monstre noir des abysses, j’ajuste vos destins et vous offre le gîte, puis prestement vous quitte en m’excusant de moi.

Je m’effaçais d’offrandes, ce fut un sacrifice. Vous y perçûtes l’échec et vous crûtes grandi, le sublime d’un naufrage échappe à votre esprit.

Voici la vieillerie poussée au bord des ans, machine épouvantée les grands courants la bercent, vidée de ses beautés, la coque abandonnée est si désemparée dans ce monde en roulis, les flots qui la submergent sont les larmes versées de marins comme fous, grippés au bastingage.

Vaste mère des eaux, accueillez la prière des pauvres esseulés, perdus parmi les poulpes. La foule s’indiffère ou se gausse bien d’eux, puis couvre de sa brume ces épaves des rues cherchant sourire ou geste vaguement chaleureux, naufragés des cités, vieux chiffons que tout happe, ou migrants malvenus, en nos ultimes agapes.

Où roulent vos carcasses qui coulent sans répit, et naviguent et divaguent, effarés de la vie ? Vous passez vaguement sur l’amère des villes, exilés sous les eaux, des océans tombeaux.

Vos ombres si furtives ont leur lot de tourments. La vie s’est invitée en vos ventres si vides, les mots ne sortent plus de vos lèvres livides, et vous couchez vaincus, si seuls en vos lits vides.

Nous sillonnions la mer, scarifiions sa peau. En nos carcasses l’on croise le loup et la rascasse. Belle reine des eaux, chère mère éternelle, est-ce donc là Parnasse, ce pays des peut-être ?


 
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   Cyrill   
25/7/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Quelle classe ! Le beau pour le beau… La poésie naufrage de sa plus belle écriture dans une mer d’images où l’extraordinaire le dispute aux plus tristes réalités.
À lire à voix haute assurément, avec toute l’emphase que les -âtes autorisent, mais sans hâte. De l’ampleur, du coffre et le timbre aux abysses pour lier la rythmique.
La poésie fait eau de tout ru. Gonflée de ses proies, elle se donne en un festin surréaliste à ces mêmes prédateurs avalés pour une orgie cannibale, et la mer recueille les dommages collatéraux.
On se noie un peu dans ce luxe de métaphores, on cherche un sémaphore sur la vague de la lecture, un bout de bois flotté auquel s’accrocher, on croit atteindre la grève mais le ressac vous en éloigne à nouveau.
Autant dire que j’ai navigué à vue. Mieux qu’une bouffée d’opium, je veux bien embarquer encore une fois dans ce navire perdu, pour une croisière du sublime et du désespoir, et dont la destination m'échappe.
Mais surtout, bravo !

   Ornicar   
25/7/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Superbe prose, source d'étonnements en ce qui me concerne.
C'est un texte "halluciné" qui foisonne d'images saisissantes : "l’hippocampe expulse sa portée chevaline" (j'adore) ; "Des balistes titans dégustent quelques huitres à ma table" (succulent) ; "Où roulent vos carcasses qui coulent sans répit, et naviguent et divaguent, effarés de la vie ?" (un univers de spectres) pour n'en citer que quelques unes. La métaphore du naufrage, et par voie de conséquence celle de "l'épave", au sens propre comme figuré - épave marine / épave humaine - scelle pour moi l'unité de ce récit.

Le sentiment d 'égarement ou d'étrangeté que j'ai pu ressentir à la première lecture vient, il me semble, de ce que le texte joue à la fois sur deux registres ou deux tableaux. Au départ, il y a donc l'identification du narrateur à un navire qui sombre (voir au début : "Ruine d’homme je sombrais" et un peu plus loin : "Ci-gît donc mon épave"). Mais à son tour, l'épave en tant que navire est personnifiée par l'emploi du "je" et prend alors figure humaine ( exemple : "J’héberge la baudroie" ; "j’ajuste vos destins et vous offre le gîte"). Alors forcément, je m'y perds un peu dans tous ces allers-retours, mais que c'est bon d'être balloté de la sorte par les flots.

Sans compter que ce texte élargit la focale à des considérations politiques, sociétales, humanistes. C'est que ça brasse large tout au fond de la baille avec ce "monde en roulis", cette "prière des pauvres esseulés, perdus parmi les poulpes", ces "naufragés des cités, vieux chiffons que tout happe, ou migrants malvenus, en nos ultimes agapes" ! Le prétendu "monde du silence" n'est pas de tout repos. Ainsi, l'extraordinaire richesse du monde sous-marin vient à la rescousse du narrateur désireux d'évoquer la dure condition de l'homme sur terre.

Enfin, au delà du fond, ce texte présente de nombreuses qualités purement formelles, picturales comme je l'ai dit, mais aussi musicales, qui le rattachent indubitablement à l'univers de la poésie. De rythme d'abord : beaucoup de phrases sont en fait des assemblages d'hexasyllabes ; de mélodie ensuite, car assonances et allitérations se taillent une belle part, par exemple ici, en "V" : "La vie s’est invitée en vos ventres si vides, les mots ne sortent plus de vos lèvres livides, et vous couchez vaincus, si seuls en vos lits vides". Pour résumer mon point de vue, c'est un texte dense qui coche toutes les cases au regard de la catégorie choisie. Une réussite.

   Provencao   
29/7/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Marceau,

"Où roulent vos carcasses qui coulent sans répit, et naviguent et divaguent, effarés de la vie ? Vous passez vaguement sur l’amère des villes, exilés sous les eaux, des océans tombeaux."

Mon passage préféré où votre sublime écriture nous permet de ne pas confondre la consternation et la stupéfaction.

Très belle dimension de réflexion que votre écrit engendre, avec cet engagement De profundis dans un enchainement de réverbération face à l'invraisemblance de cette situation rencontrée

Belle attention et recueillement de remise en question du monde, à travers lequel s’initie la démarche réaliste, accordée, communautaire et sage...

Au plaisir de vous lire,
Cordialement

   papipoete   
29/7/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Marceau
Ce thème du cercueil marin où périrent tant de marins, passagers voguant vers le meilleur, se voir devenir berceau de vie, pour les créatures des abysses, est un des cycles naturels de
- naissance, vie, mort, renaissance
qui me plaît particulièrement.
Je songe à l'USS Arizona, à Pearl Harbor cercueil géant, devenu Monument National américain, que la faune sous marine habite dans un havre de paix.
NB en outre, vous voir conjuguer le verbe, dans votre première ligne, m'est jubilatoire ( je pense au sketch des Inconnus " Auteuil Neuilly Passy " )
mais l'ensemble de votre récit est fort bien écrit
" vaste mère des eaux, accueillez la prière... "
est mon passage préféré de votre très beau récit.

   Marceau   
10/8/2025
[Modéré : Commentaire de l'auteur sous son texte (si besoin, placer ces éléments dans un post de votre sujet de remerciements :http://www.oniris.be/forum/remerciements-pour-de-profundis-t32512s0.html#forumpost480961 ).]

   Damy   
13/8/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Émouvante et luxuriante évocation de la dépression mélancolique et de l’auto flagelleation névrotique qui ne se guérissent pas, quels que soient les progrès déjà accomplis, et heureusement ! ^^

Ps : j’ai apprécié aussi le rythme alexandrinique et hexasyllabique de la prose.

Chapeau, l’Artiste !


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