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Récit poétique
Ornicar : Extérieur nuit
 Publié le 16/11/25  -  7 commentaires  -  4320 caractères  -  55 lectures    Autres textes du même auteur

Pot-pourri.


Extérieur nuit



Les instruments ont regagné leurs étuis, les derniers clients jeté l'éponge, et le club a fermé ses portes. Me voici dehors à pas d'heure. Je marche dans la ville, oiseau de nuit, de feu, que rien ne peut arrêter. Un air humide et froid avale mes poumons. des enseignes en lame de couteau balafrent la nuit noire et blanche de leurs accords électriques. Je marche, le corps et la tête gorgés d'alcool et de chorus qui me connaissent Parker. L'art de la citation c'est encore et déjà de la musique. Je marche, messager du jazz martelant le sol au roulement de ses pas, soulevant les feuilles de sa partition noctambule, tempo vif et soutenu.


Paris, Paname, macadam boulevard, c'est mon scat, mon trip et mon script ce soir. Ballet furtif de limousines aux allures félines, ticket chic ou chiqué toc de vitres fantômes qui s'éclipsent à ma vue, Taxi driver déroule alors sa bande, Travis explose des têtes et moi… j'expose le thème. Passé le pont, je stoppe et saute les dernières mesures. Vite ! Les escaliers de la gamme. Je plonge, je remonte, haletant, et j'attaque, sur le temps, Ascenseur pour l'échafaud. Jeux de timbres en eaux troubles, la trompette de Miles à mes trousses émerge et me rattrape. Comme à chaque fois, je compte bien sauver ma peau. Jazz et cinéma, je connais pas de couple plus glamour. De riffs en rushes, liaisons dangereuses et voyage au bout de la nuit sont au rendez-vous de mon cœur battant. À ma table de poker c'est la paire d'as gagnante. Avec elle, je joue ma vie à kiffe ou double sur le fil des notes que tend le vide soudain d'un parapet. Si je perds le groove, je chute d'une quinte et je meurs. Hello, Bird, how are you?


Pensées funambules en roue libre, je passe en mode impro puis remonte les bords parallèles de ma nuit américaine. L'Amérique… Et sa musique ! J'en ai rêvé. Night and day. Je l'ai aimée. Body and soul. Mais aujourd'hui ? Ses étoiles sont à terre et mes amours en berne. Lo-o-o-o-ve for sa-a-a-le. Adossée à sa colline, ma maison bleue reste sourde à mes appels. Carver, Chandler, où êtes-vous ? Que faites-vous ? Aux éditions du fleuve noir, la Seine se fait un sang d'encre. Dans la nuit SMS combien de S.O.S. se sont perdus ? Qu'est-ce qui n'a pas marché ?


Travelling arrière et retour au thème. Autour de minuit. Tout est prêt pour la fusion d'une image et d'un instant : les décors, les éclairages, les micros. Et la silhouette magnétique de Dexter Gordon irradiant le grain de la pellicule. Dans ses mains de géant, le ténor dort encore. Pas de chichi. Un claquement de doigts et c'est parti. La musique déboule, me chope par le col et me colle à la peau de la nuque à l'échine. Tapies dans l'ombre, des cigarettes rougissent puis se taisent et sirotent à traits serrés les pans d'une histoire de chair et de sang, de haines et d'amitié que ravive un sax à jets chauds et continus. Des volutes bleues s'étirent et se tordent en grappes sonores sous l’œil approbateur des spots… Je me perds et me noies dans leur sillage comme un saphir hors du temps sur les plages de vinyle. C'est alors que je les vois dans les phares balayant la nuit. Astres solitaires ou comètes tombées d'une galaxie, anges déchus ou démons meurtris d'un panthéon personnel et musical, hommes, tout simplement, épris de liberté, repoussant soir après soir, joute après joute, des murs devenus trop étroits pour leur démesure : Bird, Dizz, Art, Nat… Chet, Bud… Trane!…


Le sort, toujours à l'affût d'un mauvais tour, s'extrait de sa cache et m'arrache à mon trip. J'ouvre les yeux. Je suis vanné, vidé, crevé. Plus le temps pour un dernier set. À l'est de mon éden, la nuit a perdu sa chevelure d'ébène. Tant de sable a poli, tant de mains ont brûlé l'ivoire de ses touches, la nacre de ses clés comme une pure héroïne. Sacrée came et grande dame. Oui, toi ! la nuit, ma nuit, l'amie que j'ai chérie à bout de souffle et jusqu'au bout des ongles, allez !… Ne t'en va pas… Encore une ligne d'accord. Trop tard. Les premières bennes prennent la relève au son des poubelles, au seuil d'un jour à problèmes. Une fanfare à l'ouest se tait dans Basin Street, loin, très loin, de l'autre côté d'un océan. Et l'aube aux mains sales a déjà refermé l'étui noir de tes sortilèges.


 
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   Myndie   
16/11/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Je dirais même plus : « Jazz et cinéma, je connais pas de couple plus glamour. »^^
Comme Jeanne Moreau trainait son désarroi en noir et blanc le long des rues, alors que Miles Davis lui soufflait sa plainte lancinante, l'auteur nous offre une très belle déambulation nocturne dans Paris, dans un décor et une ambiance à la hauteur des grands films noirs américains.
D'ailleurs les références foisonnent, clins d'oeil cinéphiles appuyés, allusions aux auteurs de romans noirs et tribut remarquablement consenti au jazz et à ses musiciens.
Dans cet ensemble, quelques jeux de mots contestables dénotent :
« me connaissent Parker »
« je joue ma vie à kiffe ou double ».
Mais ils sont bien vite rachetés par la richesse de sonorités à la scansion de slam, comme ici :
« Paris, Paname, macadam boulevard, c'est mon scat, mon trip et mon script ce soir. Ballet furtif de limousines aux allures félines, ticket chic ou chiqué toc de vitres fantômes qui s'éclipsent »
 et surtout par des images somptueuses : 
« Tapies dans l'ombre, des cigarettes rougissent puis se taisent et sirotent à traits serrés les pans d'une histoire de chair et de sang »
« Et l'aube aux mains sales a déjà refermé l'étui noir de tes sortilèges. »
Il en résulte un foisonnement descriptif qui au final rend parfaitement les sensations visuelles éprouvées.

Myndie (en EL)

   Cyrill   
16/11/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Je suis parti en live dès le début de ce récit. Non mais quel film et quelle partition ! Un trip avec des tripes. C’est de l’immersion assurée dans un univers nocturne à la fois cinématographique et musical. À fond le jazz.
Il y a de la frénésie à l’œuvre, avec un le tempo qui tape au 2e paragraphe, à renfort d’assonances et allitérations qui cascadent littéralement :
« Paris, Paname, macadam boulevard, c'est mon scat, mon trip et mon script ce soir. », « ticket chic ou chiqué toc »… et cætera, franchement je pourrais tout citer tant le poète ici a su me prendre dans son délire. Ah ! Ces « escaliers de la gamme », non mais quelle trouvaille pour un accelerando !
On pourrait regretter un trop plein de références... Mais non, en tout cas pas ici, où elles savent faire la glissade d’une couleur à l’autre, comme la saturation olfactive du pot-pourri devient une qualité de plus.
Il y a un sentiment d’urgence qui traverse le récit, une atmosphère de dangerosité distillée par la nuit, la musique, le jeu, alliés à tout un fatras de titres de films et de trouvailles sémantiques « je joue ma vie à kiffe ou double », « le vide soudain d'un parapet », « je chute d'une quinte et je meurs ».
Mais la tonalité glisse, aux paragraphes suivants, sur un goût amer de désenchantement, genre fin de siècle, presque de prière : « Sacrée came et grande dame. Oui, toi ! la nuit, ma nuit ...allez !... Ne t'en va pas. », rehaussés s’il vous plaît d’un vrai génial scat : «Bird, Dizz, Art, Nat... Chet, Bud... Trane !... » : là où la liste est davantage qu’une liste : un tout signifiant.  
J’ai pas la larme facile mais là pourtant elle est au bord des yeux, avec tous les petits muscles horripilateurs qui se tendent. C’est peu dire que j’ai aimé ce texte. Un des meilleurs que j’ai lus jusqu’ici dans la catégorie, je le mets dans mon florilège et lui espère de beaux jours.

   Provencao   
16/11/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Ornicar,

"Des volutes bleues s'étirent et se tordent en grappes sonores sous l’œil approbateur des spots… Je me perds et me noies dans leur sillage comme un saphir hors du temps sur les plages de vinyle. "

J'ai beaucoup aimé ce par-delà les images, qu'elles soient, ressenties, éprouvées, rêvées, l'imaginaire, l'illusoire humain cherchent sans aucun doute à effleurer l' avoir conscience et la passion du réel.

Sublimes émotions graphiques et manifestes.

Au plaisir de vous lire,
Cordialement

   papipoete   
16/11/2025
bonjour Ornicar
Ne voulant pas jouer les rabat joie, je ne fais que passer à travers ces lignes, qui me renvoient à ce cancer de la drogue, contre lequel je dus me battre ( mon p'tit frère ) durant des années ; me rappelle tant de déchéance...au croisement aux Urgences entre Maman et son crabe, et le frérot qui flânait par là.
NB sûrement de belles envolées que les lecteurs savoureront ici, mais sans moi ; veuillez me pardonner ?

   RaMor   
16/11/2025
trouve l'écriture
perfectible
et
aime un peu
Bonjour,

Un peu trop de références pour trop peu de vertige.
J’attendais que le texte me happe, mais il reste en surface, comme une vitrine pleine de noms, de sons, de fumée.
C’est bien écrit, certes, mais ça joue du saxo sans vraiment improviser.
Un bel exercice de style, mais je ne suis pas sûr qu’il y ait une vraie musique derrière.

cdlt

   Eskisse   
16/11/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Ornicar,

Un poème qui se distingue par son oralité. J'ai cru entendre la diction d'un Nougaro.
J'ai bien aimé cette virée dans une nuit parsemée de personnifications et de métaphores.
Et je trouve que la longueur des phrases convient bien à l'ampleur du voyage musical et visuel offert.

Merci du partage

   Bodelere   
18/11/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Le récit m’a fait penser à la chanson des années 80 "chacun fait" du groupe Changrin d’amour.
On est un peu dans le même trip
Le texte est accrocheur et on se laisse emmener dans cette balade nocturne
Je dirais que pour moi c’est plus une nouvelle qu’un récit poétique ( se faire une ligne) mais bon en tout cas c’est bien écrit et le rythme étant très syncopé ajoute un plus à la notion comparative d’une partition de jazz ainsi que beaucoup de références cinématographiques et musicales


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