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Sentimental/Romanesque
Abrante : La baraquette
 Publié le 31/08/18  -  6 commentaires  -  19491 caractères  -  66 lectures    Autres textes du même auteur

Angèle perd ses illusions sur l'amour : son mari, Émilien Giordoni, la délaisse. Mais le destin peut être imprévisible.


La baraquette


Pour respirer un peu d'air frais, Angèle avait ouvert grand la fenêtre et tendait son visage à la caresse d'une brise incertaine. La chaleur était déjà écrasante et le canal miroitait sous un soleil aveuglant. Une calèche avançait au pas : le cheval devait être épuisé. Le volet de la mercerie, sur le quai en face, était encore clos. La jeune femme restait là, inerte, espérant un souffle soudain, quand elle entendit l'éclat d'un rire gras, un peu forcé. Elle n'avait pas besoin de se pencher pour savoir de qui il s'agissait.

Son mari et Maxence, le fils du maire, étaient en train de se moquer du petit grouillot portugais, et pour la énième fois ils reprenaient leur plaisanterie éculée en déclinant son prénom : Herculano – Herculado – Henculado.

Pauvre petit, elle l'imaginait quittant son village, le cœur lourd. Sa mère était veuve peut-être, avec des enfants en bas âge, et il devait trouver du travail – n'importe quel travail – pour leur envoyer un peu d'argent.

Elle poussa un soupir, et se laissa aller à ses rêveries moroses. Elle avait dépassé les trente ans. Mon Dieu, déjà ! Elle se revoyait jeune fille, troublée quand le fils Giordoni passait et repassait devant la mercerie. Sa mère, flattée, l'encourageait à le fréquenter : « Avec des yeux pareils, ma fille, tu peux ferrer le poisson que tu veux », et Angèle rougissait en pensant à cet homme puissant qui la convoitait. Mais elle était sage, et se doutait bien de ce qu'il voulait, comme tous les autres. Ses amies ne s'étaient pas privées de lui raconter ce qu'elles savaient de ses frasques, quittes à broder ou attiger pour rendre leurs commérages plus croustillants. Angèle écoutait ; elle était discrète mais point sotte. Elle eut vite fait de se forger une ligne de conduite. Elle acceptait qu'il lui propose l'eau bénite le dimanche à Saint-Louis, qu'il la raccompagne si un chaperon suivait à trois pas, mais elle ne s'arrêtait pas dans les recoins sombres, et ne le suivait pas sous les porches. Émilien Giordoni n'avait pas l'habitude qu'on lui résiste, à lui l'héritier de la Compagnie Cettoise d'Accastillage, et il rageait intérieurement. Au bout de trois mois de ce régime, il fit sa demande, et de somptueuses fiançailles furent célébrées dans le grand salon des Giordoni, ouvert sur le canal où, la nuit tombée, croisaient des barques illuminées chargées de musiciens. Il se fit plus pressant, et elle lui concéda ses mains et – une fois – ses lèvres. Ces caresses la troublaient jusqu'au plus profond d'elle-même, et elle comprit sa faiblesse en constatant l'emprise qu'il avait sur elle. C'était donc cela l'amour ?

Et lui aussi l'avait aimée, à sa manière. Elle était fraîche et mignonne. Et sage. Elle avait bien entendu parler de ses mœurs, mais elle savait que tous les hommes fréquentaient chez Madame Hortense.

Elle se souvenait de tout, le mariage qui avait réuni l'opulente bourgeoisie, la cérémonie à la décanale, le prêtre qui bégayait, et la bestialité de la nuit de noces. Elle aurait dû s'enfuir dès le lendemain. Sa mère lui avait répété que c'était le sort commun des épouses, et qu'elle devait porter sa croix si elle voulait des enfants. Comment avait-elle pu se résigner ? Par chance, sa besogne accomplie Émilien s'endormait comme une masse. Elle l'avait supporté, soumise, stoïque : elle voulait être mère. Mais Dieu ne lui avait pas fait ce cadeau, elle était stérile, et cette malédiction faisait le malheur de sa vie.

Heureusement, il avait très vite repris ses habitudes de célibataire. Avec ses compagnons de débauche il désertait la maison le soir pour fréquenter les salons de Madame Hortense.

Un été, il faisait si chaud qu'il avait décidé d'aller dormir dans la chambre de ses parents, fermée depuis leur mort. Malgré son soulagement – la sueur mouillait les draps jusqu'à l'écœurement – Angèle ressentait cet éloignement comme un abandon, et s'en voulait de sa propre faiblesse.

Puis, plus tard, il avait acheté cette petite maison de pêcheurs, là-haut sur la colline, chemin de l'Anglore, où il passait maintenant tous ses moments de liberté. L'ironie est qu'il s'était servi de l'argent de sa dot pour s'offrir ce lupanar où il recevait ses maîtresses. Bien qu'elle se réjouisse à l'idée de ne plus avoir à subir sa présence les fins de semaine, elle lui en voulait de ce délaissement. Comment pouvait-on être pusillanime à ce point ? Qu'espérait-elle au juste ? Elle hésita, elle rêvait d'un homme bon, qui lui tiendrait les mains, la caressant des yeux, renouvelant son amour sans cesse. Des larmes roulèrent sous ses paupières. Elle n'était qu'une sotte, bientôt elle serait vieille, et finirait seule, comme l'était sa mère entre ses bobines et ses fils dans la mercerie désertée.


Monsieur Giordoni avait mis en faillite un petit armateur qui prenait des risques exagérés en trafiquant avec les Barbaresques et s'était emparé pour trois sous d'une masure en pierres branlantes et d'un bout de terrain au nord sur la colline. Angèle détestait ses façons de faire, et priait pour son âme, le dimanche à la grand-messe de la décanale Saint-Louis. Cette acquisition déloyale fut à l'origine de son aversion immédiate pour la pauvre baraquette (qui ne manquait cependant pas de charme).

Le premier dimanche de septembre, Émilien organisa une visite, et ils s'élancèrent à l'assaut de la pente. Angèle n'avait à porter que sa délicate ombrelle en soie blanche, mais elle était déjà épuisée avant d'atteindre le boulevard. Pourtant les grandes chaleurs de l'été étaient tombées, mais le soleil restait féroce, et l'ombre rare. Elle souffrait de la contrainte de cette marche, de la moiteur de son corps, de l'ennui de ce dimanche à l'image de sa vie. Elle ne supportait plus le grincement des cigales, la touffeur de l'air, les cailloux du chemin. Elle en aurait pleuré. Enfin on arrivait à la porte, que Giordoni déverrouilla avec application. Une longue volée de marches s'élançait entre des restanques embroussaillées. Gravissant avec peine l'escalier, elle se perdit dans le compte de ses pas : son corps et son esprit n'en pouvaient plus. Giordoni s'arrêtait à chaque palier, s'extasiant devant la beauté de la nature, en profitant pour souffler. Elle s'arrêta sur la petite terrasse devant la maison. La vue de l'étang lui serra le cœur : des voiles claires glissaient sur le bleu intense de l'eau dormante. Une minuscule barque s'éloignait du rivage, laissant un sillage argenté. Elle sentit une piqûre : une nuée de moustiques tourbillonnait dans l'ombre bleutée du grand figuier, dont l'odeur douceâtre et entêtante la troublait. Angèle savait déjà qu'elle ne reviendrait pas.

Plus tard encore, Giordoni se procura un âne, car la pente était rude et, avant d'atteindre l'ombre clairsemée des pins, il fallait traverser un brasier. Il n'était plus très jeune, et s'essoufflait à traîner ses cent kilos.

Dès le vendredi après-midi, Herculano conduisait l'âne, Bourrichon, pour transporter les victuailles et le vin. Plus tard, quand le soleil descendait à l'horizon, il allait chercher monsieur Giordoni, qu'il aidait à s'installer sur une selle rembourrée, confectionnée par le bourrelier de Frontignan. Ensuite, c'étaient les demoiselles : Claudine, bravache, qui montait à califourchon, mais Frosine avait peur, et ne voulait pas approcher de l'animal, qu'elle trouvait sournois. Pourtant Herculano, le tenant par la longe, avançait à pas mesurés : il faut dire que Bourrichon commençait à être fatigué. Lorsqu'il avait déposé sa cargaison en bas des marches, le jeune homme attachait l'âne et escortait les demoiselles qui poussaient de petits cris, plus pour signaler leur arrivée que se plaindre des cinquante-cinq marches.

Monsieur Giordoni les renvoyait, l'âne et lui, et donnait au jeune homme une petite pièce, recommandant la discrétion : sa femme ne devait rien savoir de ces invitées fantômes. Herculano s'en allait, troublé, pensif, jetant un dernier coup d'œil voilé en direction de ces chairs opulentes qui débordaient des robes frivoles, pendant que les demoiselles s'alanguissaient, les yeux à demi fermés pour qu'on ne surprenne pas leurs regards caressant le jeune mâle qui échappait à leur concupiscence. Soupirs, résignation : il ne leur restait que les désirs obscènes des barbons, gras, ventrus, bedonnants. Ainsi va la vie.


– Tiens, dit monsieur Giordoni à Herculano, tu vas porter ces figues à madame.


Maxence ricanait :


– Des figues ! Le parfait présent d'un mari bien intentionné.


Personne ne prêtait attention à son persiflage. Monsieur Giordoni les plia dans un grand journal et tendit le paquet à Herculano.


– Et ne traîne pas en route.


Quand il dut quitter l'ombre apaisante des murs de pierre, le jeune homme, tirant sur la longe de l'âne rétif, crut qu'il allait défaillir. L'implacable soleil n'y était pour rien. Après la traversée de la fournaise, l'ombre des petites rues le mènerait jusqu'au quai, où pour la première fois il se trouverait face à la déesse de ses rêves nocturnes, cette femme si belle qu'il n'aurait jamais cru pouvoir l'approcher, cette madone qui contemplait les quais et le canal du haut de son balcon, souveraine, superbe, ignorant le peuple qui levait la tête jusqu'à elle, dans une adoration muette et lointaine. Il serrait les figues contre lui, précieux trésor qui allait passer de ses mains aux siennes.

Elle rêvassait à l'ennui de sa vie dans la maison déserte, quand elle entendit le tintement de la sonnette. D'abord elle ne vit que l'enfant, et resta stupéfaite. Elle l'avait souvent observé du haut de son balcon, les paupières à demi fermées. De près, il était encore plus beau. Ses boucles noires faisaient ressortir la blancheur de son teint, et ses longs cils donnaient à son regard une douceur féminine. Il fallait qu'elle se ressaisisse. Elle ne savait que dire. Il la fixait effrontément, et tout en se maudissant de son audace il restait là, muet, hypnotisé devant cet être surnaturel qui le contemplait avec une stupeur troublante.

Tremblant malgré lui, il tenait, serré contre son ventre, le précieux fardeau qui lui permettait de cacher ce qu'il ne pouvait maîtriser. On devrait pouvoir commander ces choses-là. Le journal, imbibé par quelques figues trop mûres, commençait à se déliter. Un fruit glissa. Herculano, se baissant pour le ressaisir, accentua la déchirure, et tout roula sur le sol, révélant ce que le jeune homme cherchait désespérément à dissimuler.

Angèle se sentit défaillir. Herculano se précipita, la portant jusqu'à la méridienne de reps vert où il allongea son précieux fardeau. Il lui embrassait les mains, tentant de la faire revenir à elle. Elle gémissait doucement. Comment était-ce possible que cela lui arrive, à elle ? Machinalement elle tendit le bras, caressa une boucle brune, alors il s'enhardit et la couvrit de caresses...


– Mon dieu ! Qu'avons-nous fait ? Et s'il était revenu à l'improviste ?


Herculano fronça les sourcils. Il ne comprenait pas.


– S'il était rentré tout à coup ?


Le jeune homme souriait :


– Non, pas possible ça.

– Et pourquoi ? On ne peut pas savoir...

– Pas possible, et il laissa couler un rire enfantin : moi j'ai l'âne. Le monsieur il marche pas. Il a dit aller le chercher à six heures dimanche.


Ainsi c'était cela l'amour, cette force irrésistible qui vous attachait à un homme ! Elle avait honte de ce qu'elle faisait, et ne pouvait résister quand Herculano la prenait dans ses bras. Les turpitudes de son mari n'excusaient pas les siennes. Le jeune homme n'avait aucun remords : il savait à quoi s'occupaient Émilien et ses invités de la baraquette. Toute son énergie était au service d'Angèle, dont il était passionnément amoureux, ce qu'il lui prouvait avec toute la force de sa jeunesse.

Ils vécurent trois mois d'une passion dévorante, incapables d'imaginer l'avenir. Puis, un matin, Angèle se réveilla barbouillée. Malgré cela, elle avait faim en permanence. Elle en parla à sa mère, qui lui demanda :


– Tu es indisposée ?


Ce mot, dit innocemment, lui rappela qu'il y avait plusieurs semaines qu'elle ne l'avait pas été... Dieu du ciel, elle était enceinte ! Ce n'était pas elle qui était stérile, mais Émilien ! Et elle portait l'enfant d'Herculano !


– Qu'est-ce que tu as, tu es toute pâle ?

– Ce n'est rien, maman. C'est ce que tu as dit. Je vais rentrer. Il vaut mieux que je me repose.


C'était un si grand bonheur. Un enfant ! Le fruit de l'amour. Ce serait une petite fille, elle le sentait. Les pensées tournaient dans sa tête. Il y avait des mois qu'Émilien ne l'avait pas touchée. Elle devait agir. Vite.

Le soir même, elle se glissa dans sa chambre et s'il fut étonné il n'en laissa rien paraître. Quant à elle, elle trouvait écœurant toujours ce corps adipeux qui écrasait le sien. Elle se força à penser à son jeune amant, et fut surprise de l'émoi qu'elle ressentit dans les bras de son mari, tout fier de faire gémir sa femme.

Herculano brossait une chaussure dans la pénombre de la cour intérieure quand il entendit les soupirs d'Angèle, qui provenaient de la chambre de monsieur. Il eut l'impression de se vider de son sang. Elle s'était donnée à lui, il la considérait comme sa femme, et maintenant elle retournait vers l'autre. C'était une trahison épouvantable. Il jeta ses hardes dans un sac et s'enfuit dans la nuit.

Angèle ne comprit pas pourquoi Herculano avait disparu, mais elle savait que cela faisait partie de sa punition. Elle n'allait pas s'apitoyer sur son sort, seule comptait cette vie qui était en train de pousser dans son ventre.

Émilien regardait son épouse s'arrondir, et en tirait une fierté fort légitime. Angèle gardait bien une vague crainte au fond du cœur, mais qui pourrait prouver quoi que ce soit ? Elle accoucha d'un garçon, baptisé Auguste, dont tout le monde s'accordait à reconnaître qu'il ressemblait à son père comme deux gouttes d'eau. Angèle ne disait rien, et couvrait de baisers le nourrisson. Le sort avait été clément : elle avait cet enfant tant désiré, et Émilien, conforté dans son orgueil de mâle, reprenait ses habitudes à la baraquette.

Ce furent les plus belles années de sa vie, d'autant qu'elle s'était rapprochée de sa mère, qui adorait son petit-fils. Elle l'aida à transformer la mercerie en un magasin de souvenirs qui prospérait grâce aux touristes, et où elle trouva à s'occuper quand le petit alla à l'école.

L'adolescence mit un terme à cette félicité : Émilien et Auguste s'affrontaient en des combats stériles, le père voulant modeler le fils à sa guise, pendant que le rejeton se désespérait de la bêtise de son géniteur. Auguste mentit sur son âge et s'engagea dans l'armée, qui recrutait aveuglément en août 1914.

Ils n'avaient plus de nouvelles. Elle se réveillait en sursaut la nuit : elle avait rêvé qu'on rapportait son cadavre. Elle avait des bouffées d'angoisse, qui la laissaient pantelante. Émilien s'inquiétait pour sa santé. Depuis son départ, il parlait de son fils avec une douceur nouvelle.


En 1921 elle s'était définitivement installée dans la baraquette. Elle était vieille maintenant, et l'amertume avait disparu de son cœur. Depuis la mort d’Émilien les choses avaient repris leur place. Les dernières années avaient été terribles, après le retour d'Auguste.

Elle se souvenait de 1918. La guerre était terminée maintenant, et ils attendaient le retour de leur fils, parmi la petite foule qui se pressait à la gare. Le train freina dans un grincement de ferraille.


– Tiens, on dirait...


Émilien s'était interrompu, et elle avait immédiatement compris pourquoi. Auguste s'avançait vers eux. Amaigri, le teint hâve et les cheveux bruns ondulés, c'était le portrait vivant d'Herculano.

Elle n'avait pas nié, aussi bien Auguste détestait son père, hâbleur, coureur, méprisant. Les rapports étaient au bord de la rupture, et le jeune homme décida qu'il ne resterait pas à Cette.


Émilien souffrait de la goutte et ne se déplaçait presque plus mais il la poursuivait de ses invectives dans l'appartement. Comme il était incapable de marcher si loin, elle s'était retirée à la baraquette après le départ de son fils pour l'Algérie. Auguste ne voulait rien devoir à son père. Il prenait un nouveau départ sur une terre nouvelle. Il lui manquait, bien sûr, mais elle apprivoiserait la solitude comme elle apprivoisait les écureuils qui se poursuivaient dans les branches des pins, sautant d'un arbre à l'autre. Sur une table de la terrasse, elle avait déposé une coupelle remplie d'eau et des quartiers de pomme, et quand elle était seule, silencieuse et immobile, les petites boules de poils s'avançaient, craintives, s'arrêtant à chaque froissement de feuille, leurs petits yeux mobiles furetant dans toutes les directions, puis, enfin rassurés, ils s'asseyaient sur leur postérieur, la queue en panache, et portaient les morceaux de pomme à leur bouche. Quand ils ne venaient pas, elle s'abîmait dans la contemplation de l'étang, qui avait peu changé en lui-même : seules ses rives s'étaient alourdies de constructions plus ou moins heureuses, mais la nuit les lumières de Mèze et de Balaruc se reflétaient sur l'eau calme et composaient un tableau dont elle ne se lassait pas.

Si proche de la ville, et en même temps à l'abri de l'agitation, elle ne voulait plus quitter ce havre de tranquillité. Elle savait qu'Émilien se démenait pour la dépouiller ; c'était son argent à lui, elle n'en voulait pas. La mercerie – un magasin de souvenirs maintenant – rapportait plus qu'elle ne pouvait dépenser : n'était-ce pas le premier critère de la richesse ?

Les jours où ses rhumatismes la laissaient en paix, elle s'aventurait sur les terrasses pour nettoyer le terrain, arracher les orties ou planter un arbre.

Le décès d'Émilien lui causa plus de peine qu'elle l'avait imaginé. Au fond, c'était un pauvre homme, et qui n'avait joui de la vie que dans sa bestialité. Elle prit sur elle pour retourner au quai de la Marine. Les neveux avaient déjà fait main basse sur l'entrepôt d'accastillage. Elle conduisit le deuil avec sobriété, et n'avait qu'une hâte : retourner « chez elle ». Le notaire confirma ce dont elle se doutait : tout allait aux neveux, sauf la baraquette, payée avec sa dot. Elle avait prévenu Auguste, qui répondit qu'il était en voyage et viendrait à l'automne.

Alors elle commença à espérer. Peut-être, maintenant, rentrerait-il au pays ? Elle rêvait à son mariage, il épouserait une brave fille, ils auraient des enfants...

Elle se sentait inquiète : ses cheveux avaient blanchi. Elle ne voulait pas qu'il retrouve sa mère vieillie ; elle alla chez la coiffeuse, s'acheta des vêtements clairs. Un soir, elle entendit un bruit à la porte du bas. Son cœur fit un bond : c'était lui. Il parlait avec quelqu'un, un ami sans doute. Du haut des marches, elle les regardait monter, et soudain elle se mit à trembler : elle avait reconnu le visiteur.

C'était Herculano, qu'Auguste avait enfin retrouvé. Les cheveux blancs, un peu épaissi, mais il avait conservé la flamme de son regard.


– Vous n'avez pas changé, madame Angèle.

– Avant tu disais toujours la vérité, Herculano.

– Je n'ai pas toujours su la dire. Il faisait allusion à son départ soudain. Mais maintenant je saurai : pour moi, vous êtes toujours aussi belle, senhora Angèle.


Il avait perdu son accent, et la regardait avec un soupçon d'inquiétude. Après tout, n'était-il pas parti sans un mot d'adieu ?

Elle murmura à mi-voix, comme pour elle-même : « Les deux hommes de ma vie. »


 
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   vb   
31/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Abrante,

J'apprécie d'habitude beaucoup ce type de littérature assez classique. Cette histoire d'amour ressemble un peu au Rouge et Noir ou encore à l'Amour au temps du Choléra. Cependant, ici, je n'ai pas vraiment accroché. L'histoire ne m'a pas paru très originale. Je n'y ai vu aucune surprise, aucune pensée spécialement novatrice. Dommage.

J'ai par ailleurs trouvé le style relativement inégal.

Voici mes notes de lecture:

1) "brise incertaine" : il y a de la brise ou il n'y en a pas? Il faudrait savoir.
2) "réjouisse" Pourquoi pas "réjouît"?
3) "pusillanime" Que voulez-vous dire? Qui est pusillanime, elle ou lui? Je suppose que c'est elle, mais alors quel risque hésite-t-elle à prendre? Le risque du divorce? d'une dispute? J'ai l'impression que dans la société que vous décrivez on ne pense même pas à prendre des risques pareils.
4) "Monsieur Giordoni avait..." J'ai cru un moment qu'il s'agissait du père.
5) "Pourtant les grandes chaleurs... mais..." Le pourtant contredit de suite par le mais m'a semblé bizarre. Que penseriez vous d'un bien que à la place? Ou alors rien du tout à la place du pourtant.
6) "Le premier dimanche de septembre" J'ai eu de la peine à localiser l'action. Les protagonistes grimpe jusqu'à un boulevard (sont donc en ville) puis se retrouve tout de suite en pleine campagne avant d'arriver au bord d'un étang en haut d'une colline. Mais cet étang est très grand puisqu'on peut y observer une minuscule barque. Parle-t-on de l'étand de Berre, vu d'en haut, auquel cas la baraquette ne se trouve pas au bord de l'eau.
7) "Angèle savait déjà qu'elle ne reviendrait pas" Mais si elle revient! Elle y passe même la fin de sa vie.
8) "Plus tard encore" On change de point de vue. On passe au point de vue d'Herculano mais on s'en rend compte un peu trop tard.
9) "invitées fantômes" Je n'ai pas aimé cette expression.
10) "Tiens, dit monsieur Giordini..." J'aurais cru qu'il aurait plutôt dû crier. Il me semblait qu'Herculano était déjè sur le chemin du retour.
11) "déesse de ses rêves nocturnes" On apprend un peu trop abruptement à mon goût l'amour fou d'Herculano.
12) "stupéfaite" & "tupeur troublante" Ce n'est pas la première fois qu'elle le voit. Pourquoi est-elle tellement stupéfaite?
13) "révélant ce que le jeune homme cherchait à disimuler" Oui que cherche-t-il à dissimuler au juste? Son amour? Pourquoi laisser tomber des fruits est-il une preuve d'amour?
14) "Angèle se sentit défaillir" Elle sse sent pas défaillir: elle défaillit.
15) "Elle gémissait doucement" un peu lourd!
16) "de reps vert" A-t-on besoin de ce détail?
17) "Le jeune homme n'avait aucun remord" & "il la fixait effrontément" ne cadre pas avec son amour chevaleresque ("déesse de ses rêves nocturnes")
18) "il était passionément amoureux" Oui on a déjà compris.
19) "s'enfuit dans la nuit" <-> "disparu" Je trouve bizarre qu'il disparaisse définitivement. À sa place je serais plutôt allé pleurer seul dans mon coin avant de prendre une décision définitive.
20) 1914 C'est la première fois que vous mentionnez une date. J'avais cru l'action se passer beaucoup plus tôt.
21) 1921 Je trouve qu'on saute un peu trop vite les années. Surtout si c'est pour revenir en arrière (1918) deux lignes plus loin.
22) "Elle n'avait pas nié, aussi bien..." Je ne comprends pas du tout cette phrase.
23) "Cette" C'est la première fois que vous mentionnez un nom de lieu.
24) "mais il la poursuivait" Poursuivait est à prendre dans un sens imagé et le contraste avec déplacait n'est à mon avis pas très heureux.
25) "apprivoisait les écureuil" J'ai trouvé que ca faisait un peu marquise sur escarpolette à la Fragonard.
26) "retourner chez elle" Je ne comprends pas pourquoi elle adore tant cette baraquette, le lupanard de son mari.

   hersen   
31/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Dommage que la narration ait un ronron que rien ne vient vraiment réveiller. Que ce soit les événements forts ou le quotidien, tout est raconté de la même manière, ce qui bien sûr nuit à l'intérêt de lecture.

la trame de l'histoire n'est pas neuve, mais j'en ai aimé le cadre. Je regrette que de ce point de vue, l'auteur n'ait pas renforcé cet atout de dépaysement;

La chute réveille un peu, mais c'est quand même trop tard. Dommage.

   Thimul   
31/8/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une histoire classique.
On devine ce qui va se passer au fur et à mesure.
Le tout est raconté de manière assez plate. et dans un style qui donne un ton proche de l'ennui que j'ai fini par ressentir.
Est-ce voulu ?
Tout aurait été différent avec une fin plus enlevée, plus tragique, moins "Harlequin" (pour ceux qui connaissent la grande époque de la littérature romantique...) Mais non : une espèce de happy end convenu, que j'ai trouvé encore plus ennuyeux que le reste.
L'écriture est bonne, je trouve, mais c'est la distance que vous mettez entre nous et vos personnages qui m'a profondément gêné.
Je n'ai pas vibré, désolé.

   izabouille   
1/9/2018
 a aimé ce texte 
Pas
Je n'ai pas apprécié cette nouvelle, sans doute parce que l'ultra-romanesque m'ennuie profondément. Cependant, vous avez une écriture agréable et un bon style, c'est le scénario qui m'a profondément ennuyée. Je trouve que c'est assez convenu comme histoire. D'abord, j'ai eu du mal à plonger dans l'époque, même si vous parlez de calèche au début, ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille, mais je n'ai pas capté car il n'y aucun autre détail pour signaler l'époque.

Je n'ai pas compris "Monsieur Giordoni les plia dans un grand journal" en parlant des figues. Ne serait-il pas plus correct de dire "les emballa"?

Bonne continuation.

   toc-art   
1/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

Il y a quelque chose de très désuet dans ce récit classique. Mais ça lui donne aussi un certain charme. On n'est pas loin des tragédies désormais surannées de Pagnol, je trouve, l'humour et une certaine vivacité dans le récit en moins.

Pour ma part, je ne suis pas un adepte forcené du suspense ou de l'inattendu dans ce type de récit sentimental. On n'est pas dans un thriller, ça ne me gêne donc pas qu'on anticipe l'histoire, il y aurait assez d'événements successifs pour maintenir l'intérêt.


Mais je pense que le texte mériterait d'être retravaillé, les différentes saynètes ne sont pas suffisamment découpées dans leur chronologie, ça entraîne une certaine confusion et un déséquilibre dans la construction, des passages sont très détaillés, trop ou en tout cas pas à bon escient, on annonce certaines choses, comme la mort d'Emilien, l'installation d'Angèle à la baraquette et puis on passe à autre chose pour y revenir ensuite, ça fait doublon, ça ne va pas.

L'achat et la découverte de la baraquette sont fractionnés, on parle entre deux des femmes qu'y invite Emilien puis on revient sur la découverte de la maison avant de reparler des maîtresses, tout cela ajoute à l'impression d'une construction mal maîtrisée.

Sur la psychologie des personnages, notamment Angèle, il y a un réel effort pour faire apparaître ses atermoiements entre son désir de femme, son dégoût de son mari, sa "faiblesse" sensuelle ; c' est intéressant mais ça me semble rendu un peu maladroitement et, quand Herculano apparaît, les pensées des deux personnages s'entremêlent, on passe de l'un à l'autre trop brutalement à plusieurs reprises et ça ne sert pas le récit (selon moi, bien sûr).

Des maladresses aussi, comme la répétition de "plus tard" plusieurs fois ou l'entame d'un paragraphe "puis, plus tard" : le "puis" est inutile et il alourdit la narration.

La fin, quant à elle, est expédiée alors qu'elle aurait mérité plus de développement ; j'ai noté aussi quelques imparfaits qui pourraient avantageusement devenir des passés simples.

Pour résumer, j'ai bien aimé l'idée du récit, ces drames ordinaires d'un temps révolu, l'humanité de ces situations mais j'ai trouvé que la narration était desservie par une construction maladroite et un ton trop monocorde. Par exemple, la vraie rencontre d'Herculano avec Angèle, ces figues pour masquer l'érection du jeune homme, aurait largement pu être plus légère, sans devenir grivoise ou vulgaire et c'est dans ces manques là qu'apparait la faiblesse du récit, dans ce manque d'aspérité rythmique.

Personnellement, je vous encourage à retravailler ce texte qui le mérite.
Bon courage.

   Anonyme   
1/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
on dirait que l'auteur s'est reveillé un peu en rétard pour essayer de surprendre les lecteurs avec cette chute un peu éveillante à la fin !

dès le début on sent vraiment l'ennui et la fatigue chez l'auteur avec cette monotonie dans la narration et le cadre !
mais quand même c'est fût un moment de plaisir et j'éspère vraiment rélire mieux de vous !

jerusalem
merçi


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