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Fantastique/Merveilleux
Acratopege : Archi chez les Anonymes
 Publié le 07/06/17  -  16 commentaires  -  8147 caractères  -  107 lectures    Autres textes du même auteur

Quel délice, plongé dans un bain brûlant, d'imaginer des histoires sans queue ni tête !


Archi chez les Anonymes


Aujourd’hui, c’est ma première séance de groupe. Je n’ai pas choisi les Anonymes par hasard, mais voir tous ces gens assis en rond m’intimide quand même. Des hommes et des femmes qui ne ressemblent à rien, que je ne reconnaîtrais pas dans la rue sans leur nez rouge et les marques d’injections qu’ils arborent sur leurs avant-bras. Personne ne dit mot. Tous me regardent avec une avidité qui m’effraie. En qualité de nouveau, c’est à moi de commencer. La tâche est rude. Je sens une vague de chaleur gonfler dans ma poitrine au moment de prendre la parole.


– Je m’appelle Archi, je suis addict aux bains chauds. Je vous rejoins dans l’espoir de me libérer grâce à vous.

– Tu es le bienvenu, Archi. Dis-nous déjà quelque chose de ton histoire.

– Tout a commencé quand j’avais six ans. C’était l’hiver. J’ai failli me noyer dans un étang glacé dont la glace avait cédé sous mon poids. Pour me réchauffer, une grande cousine m’a plongé dans un bain brûlant et m’a frotté tout le corps avec une lavette de crin. J’en suis sorti rouge comme une écrevisse amoureuse, mais heureux comme un pape fraîchement élu. Ma peur de mourir noyé avait fondu dans l’eau du bain comme un morceau de savon ! Comme on dit, je dois une fière chandelle à ma grande cousine. Elle est bien vieille aujourd’hui, mais je lui vois toujours un corps et un visage de jeune fille chaque fois que je la croise dans une réunion de famille.

Quant à l’habitude de prendre un bain chaud, elle ne m’est venue que plus tard, à l’adolescence. Jusque-là, je me contentais d’une douche rapide deux fois par semaine, car on n’aimait pas trop l’eau dans ma famille. Tout a basculé par un jour de grosse pluie où j’avais oublié de prendre mon parapluie pour sortir. Détrempé, je courais vers la maison de mes parents. J’ai glissé et me suis étalé de tout mon long dans une flaque. Comme je me relevais, le souvenir oublié de ma noyade a surgi soudain dans ma mémoire en entraînant derrière lui des montagnes d’angoisse. Je me suis senti glacé jusqu’au fond du cœur et au bout des orteils. À la maison, il n’y avait personne pour m’aider. Je ne sais comment l’idée m’est venue de me plonger dans l’eau chaude. Très vite, dans ma baignoire, je me suis senti apaisé. Prendre un bain est dès lors devenu mon plus grand plaisir, mais bientôt je n’ai plus pu m’en passer. Depuis des années, si je ne veux pas devenir fou à lier, je dois absolument prendre un bain brûlant chaque jour, qu’il vente ou qu’il pleuve, que j’aie travaillé tout le jour avec acharnement ou bien paressé du matin au soir sur mon canapé en buvant des tisanes. Impossible de partir en vacances si je ne suis pas assuré de trouver en terre étrangère une salle de bain avec baignoire et de l’eau chaude en suffisance. Je sais que chacun de vous souffre de sa petite dépendance personnelle. Soyez sûrs, cependant, que la mienne est la pire, car votre alcool et vos drogues, on en trouve à chaque coin de rue dans le monde entier. Je voudrais tant être un homme libre, capable de visiter des pays où l’on n’a pas encore inventé l’eau chaude, des îles paradisiaques où les baignoires n’existent pas !

– Dis-nous en détail comment cela se passe pour toi !

– Vous allez rire, mais avec les années j’ai organisé tout un rituel. Je me couche d’abord dans la baignoire vide en frissonnant au contact de l’émail glacé. Je fais couler l’eau chaude très lentement. Comme une marée, elle lèche peu à peu chaque partie de mon corps. Quand elle me recouvre les jambes et le ventre, je commence à lire. Toujours le même roman, que je reprends au début sitôt que je l’ai terminé. La chaleur commence à m’étourdir le cerveau. Alors je pose mon livre et me jette en arrière pour rêvasser dans la position la plus confortable, presque couché, le regard hypnotisé par le plafonnier multicolore que j’ai fait installer tout exprès. En me reculant, chaque fois, je provoque un petit tsunami qui fait déborder la baignoire. La chose serait sans importance si le sol de ma salle de bain était étanche ! Hélas il ne l’est pas. L’eau s’écoule par des fentes invisibles à l’œil à travers la dalle et détrempe l’appartement du dessous. La voisine se précipite dans l’escalier. Elle entre sans sonner dans mon appartement à la porte toujours ouverte, car il n’y a ni voleurs ni colporteurs dans mon quartier. J’ai à peine eu le temps de sortir de l’eau et de m’envelopper d’un linge quand la furie commence à me frapper de ses petits poings tout en m’injuriant de belle façon. Je la repousse le plus doucement possible en prenant soin de ne pas lui faire mal. Elle recule, trébuche, tombe de tout son long sur mon lit. Je la rejoins pour des ébats qui nous laissent chaque fois en sueur. Quand elle quitte mon appartement, je me sens seul et abandonné. Je l’entends se faire à son tour couler un bain. Sans peine, je peux imaginer la suite : posant son livre, elle rejette son corps en arrière et fait déborder sa baignoire pour continuer son affaire avec le voisin du dessous quand il surgit à sa porte. Un beau salaud celui-là, qui sait profiter de la situation sans états d’âme ! À peine en a-t-il terminé avec sa voisine du dessus qu’il se plonge dans sa baignoire pour inonder l’appartement de sa voisine du dessous. D’étage en étage, jusqu’à l’entresol, la vague infâme se propage. Voilà, je vous ai tout dit. Je n’en peux plus de ce manège qui recommence chaque jour ! Je n’en peux plus de me sentir coupable d’une multitude de fornications sans amour ! Aidez-moi à me sortir de cette histoire de fous !

– Nous te remercions pour ton témoignage, Archi. Ici, personne ne te jugera. Tu peux compter sur nous pour soulager ta souffrance. En nous parlant sans détour, tu as déjà fait un grand pas vers la rémission. Tous nous sommes comme toi atteints d’une maladie incurable, mais nous apprenons ensemble à la tenir à distance. Sois le bienvenu. Qui veut parler maintenant ?

– Vous raconter mon histoire m’a allégé l’esprit, c’est sûr, mais je ne vois pas comment vous pourriez m’aider…

– Ton temps de parole est écoulé, Archi. Écoute ce que les autres ont à te dire. Partager leur expérience te fera avancer sur le chemin qui mène au rétablissement.


Je me sens bientôt plongé dans un brouillard de mots dont je peine à saisir le sens. Chacun parle à son tour en regardant ses chaussures. Personne n’interrompt personne, mais je ne perçois dans les propos échangés qu’un embrouillamini de phrases sans queue ni tête. À leurs regards hébétés, j’ai bien saisi tout à l’heure qu’ils gobaient mon récit sans se poser de questions. M’ont-ils seulement écouté avec attention, tous ces malades enfermés à vie dans leurs mauvaises habitudes ? Je suis sûr qu’aucun n’a remarqué que mes paroles sonnaient creux, que ma contrition était feinte, que je leur ai servi pour être accepté dans leur groupe l’histoire qu’ils désiraient entendre. S’ils savaient le plaisir que me procure mon bain quotidien, ma jouissance à entraîner jour après jour, d’un étage à l’autre, la même cascade d’événements sordides, ils me chasseraient séance tenante de leur groupe. S’ils savaient que je les ai rejoints par jeu, que je jouis en secret de les avoir abusés, que je ne veux au grand jamais rien changer à ma vie, ils se lèveraient avec un bel ensemble et me roueraient de coups de poings. Je me renverse en arrière sur ma chaise et ferme les yeux. L’image bienfaisante de ma salle de bain commence à luire doucement derrière mes paupières. Le bourdonnement de paroles qui émane du groupe sonne maintenant à mes oreilles comme un jet d’eau brûlante. Je suis au paradis et me jure d’y revenir le plus souvent possible. Je saurai tenir ma langue pour n’être jamais débusqué !


Quand le silence s’installe, j’ouvre doucement les yeux. Au plafond, je vois avec délice perler quelques gouttes d’eau. D’abord infimes, elles gonflent et se rassemblent en filets d’eau qui bientôt se déversent en torrents sur nos têtes. Hommes et femmes, jeunes et vieux, tous les participants se précipitent hors de la salle. Je les entends grimper l’escalier. Imaginer la suite n’est pas difficile. Mon rire résonne en diable dans la pièce vide. Je n’ai pas perdu ma journée.



 
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   Tadiou   
7/6/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
(Lu et commenté en EL)

Délicieux petit récit, drôle et tendre ; absolument farfelu. Inutile de chercher de la vraisemblance. Tout coule harmonieusement. Les mots dégoulinent délicatement.

Beaux jeux avec les angoisses surmontées et regardées de bien haut, avec les mensonges véniels pour la poésie de l’existence.

La chute, je l’ai dégustée, la boucle est bouclée, les ptites gouttes sont partout.

   plumette   
24/5/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
un petit délire bien sympathique!
Aucune difficulté pour moi à entrer dans la baignoire!
évidemment que peux-t-on imaginer d'autre dans ce contexte de douce torpeur qui ramollit le cerveau et les chairs qu'un appel à partager toute cette mollesse chaude et enveloppante avec les voisins du dessous dans un joyeux bordel! la vie serait plus joyeuse si les dégâts des eaux avaient ce genre de "débouchés" .

La chute est un peu confuse pour moi. D'où vient la fuite? est-ce que notre narrateur en est responsable?

En tout cas, vous m'avez donné le sourire!

Plumette

   hersen   
7/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
On nage entre délire et fantastique dans cette chaîne de bain !

Au-delà du côté drôlesque de cette histoire très bien agencée, n'y a-t-il pas la critique, la dérision, du travail de groupe et l'aspect difficilement surmontable de l'addiction ?

C'est très bien imaginé, j'ai vraiment ri aux pays où il n'y aurait pas encore l'eau chaude !

Tout petit détail, une simple goutte :
Bien que grammaticalement correct "je n'ai plus pu" n'est pas très beau à mon oreille lectrice, si je puis dire.

Merci pour cette lecture,

hersen

   in-flight   
7/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien
"je leur ai servi pour être accepté dans leur groupe l’histoire qu’ils désiraient entendre" --> cest donc l'histoire de la folle solitude d'un homme. L'empathie que l'on éprouvait pour le narrateur s'écroule pour laisser place à un moment de perfidie. Ce type est malheureux mais il est sournois dans son malheur. Pour entrainer les autres dans sa tristesse, il provoque une cascade qui mènera tout les anonymes dans son univers. Parce qu'il ne peut s'accorder avec le monde, il impose aux autres de pénétrer dans le sien. C'est un autiste (pas au sens clinique) machiavélique qui embarque l'assemblée dans un torrent de concupiscence.
L'été sera chaud...

   Bidis   
7/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ah, j'ai bien ri ! Voilà un texte... rafraîchissant, bien qu'il s'agisse d'eau chaude.
Un bon moment.

   Thimul   
7/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai bien aimé ce texte décalé à souhait.
C'est vrai que l'addiction aux bains chauds, il fallait y penser !
Rien que ça, c'est déjà très bien.
Le ton est excellent, juste comme il faut jusqu'...à l'avant dernier paragraphe qui enlève, je trouve, de l'élégance à l'ensemble. Tout à coup, la loufoquerie devient beaucoup moins drôle et je perds en empathie avec le personnage.
C'est un parti pris de l'auteur que je respecte mais qui pour moi ne colle pas tout à fait avec l'atmosphère jusqu'alors distillé par cette sympathique nouvelle.
Au plaisir de vous lire.

   vendularge   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

C'est un texte dont l'écriture linéaire et donc normalisante (c'est un compliment) raconte une histoire complètement loufoque, c'est ce qui crée ce décalage très intéressant.

La fin nous montre un personnage moins sympathique, qui se moque un peu ce type de réunions et des gens qui finalement n'existent que par leur rassemblement et le brouhaha léger de leurs interventions. L'ensemble tourne à la caricature et ce décalage si caractéristique perd de sa force. Je trouve cela un peu dommage mais c'est le choix de l'auteur

merci en tout cas
vendularge

   Donaldo75   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Acratopege,

Elle est originale, cette addiction ! Je m'attendais à ce que tu établisses un parallèle avec d'autres addictions, plus lourdes de conséquence en termes de santé, telles que la drogue ou le tabac. Mais non, tu as choisi de rester dans le registre un peu loufoque, en insistant sur ton personnage et sa volonté de rester accro. Je ne suis pas déçu, parce que le texte est finalement court et se termine par une pirouette.

Merci pour le partage,

Donald

   Cox   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Décidément, ces derniers jours, j'ai vraiment l'impression de faire mon rabat-joie....

Je n'ai pas réussi à rentrer dans ce texte loufoque. Pour le délire du mec accro au bain chaud ça allait, mais alors cet engrenage de sexe forcené, ça sort tellement de nulle part que ça m'a laissé sur le côté ^^
Je n'ai jamais été très réceptif au fantasme du plombier...

C'est de l'absurde qui semble être venu d'un trait et dont je n'arrive pas à retirer grand' chose. Le côté machiavélique de la fin m'a bien plu à moi. Il m'a fait penser à une scène de breaking bad où le dealer (lui-même accro) vient à une réunion anonyme pour tenter de refourguer sa came à toute l'assemblée !

Par contre, pour la super-orgie de fin, on retombe dans le too much pour moi qui ne vois pas d'où vient cette flotte.

Je pense que c'est un texte que vous vous êtes grandement amusé à écrire. Mais je n'ai pas pu partager le plaisir pour cette fois. Une prochaine, sans doute !

Bzz.

   Pouet   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bjr,

J'ai ma foi bien apprécié ma lecture.

C'est évidemment un doux délire décalé comme il se doit mais je n'ai tout de même pas pu m'empêcher de me demander d'où provenait la fuite d'eau de la fin. Peut-être eût-il été opportun de préciser que cela se passait au quatrième étage d'un immeuble d'habitation par exemple (on parle "d'escalier", mais c'est tout, ou alors ça m'a échappé ) Et puis à moins que l'Archi trouve une baignoire dans la salle des Anonymes pour la faire déborder, l'orgie plombière risque de tourner court. Ou bien alors, il divague l'Archi et il voit l'eau couler comme d'autres les éléphants roses peigner la girafe?...

La fin donc, me parle moins.

Enfin bref. Ce que j'écris n'a pas grand intérêt j'en ai peur.

Revenons à l'essentiel.
Un texte bien écrit, une lecture distrayante. Que demande le peuple?

   Grifon   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Acratopege,
la petite phrase d'introduction annonce bien la couleur de la nouvelle, et effectivement on n'est pas déçu ! On sent bien que tu as laissé venir et que tu as pris plaisir à faire gonfler cette histoire imaginée dans la chaleur d'un bon bain chaud. Mais même si ton écriture est agréable à lire, dans un style qui me convient, sans lourdeur inutile, je ne suis pas entré dans l'histoire, et encore moins dans ces derniers rebondissements, c'est comme ça. Je manque peut-être un peu de folie...
En tout cas merci pour ce texte proposé.
A une prochaine lecture.

   Isdanitov   
8/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Je trouve ce texte amusant, un peu déjanté mais marrant! J'aime bien la fin mais le texte gagnerait à avoir une autre introduction.

   Acratopege   
10/6/2017

   Anonyme   
10/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
J'ai été surprise, intriguée, j'ai construit un tas de théories pour comprendre , j'ai une théorie favorite , j'imagine une suite et un début … Tous les signes de la lectrice conquise sont là !
Je voudrais quand même poster une critique, histoire de donner un peu de crédit à mon tout premier commentaire sur ce site : je sens le potentiel de ce texte (et de l'auteur) , et je suis frustrée.
Pour moi, à coté d'une nouvelle j'ai lu le synopsis d'un roman qui parle d'un sublime sociopathe aux capacités paranormales, il semblait amputé de sa profondeur, de sa structure, de sa genèse...
J'aimerais te dire de ne pas sous estimer tes lecteurs, mais il faudrait que je lise plusieurs de tes textes pour avancer une telle chose.

   Sylvaine   
16/6/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Texte très plaisant, très agréable à lire. L'idée est originale et traitée avec humour. La chute, si du moins je l'ai bien comprise, joue sur le non-dit, sur l'allusion, peut-être même un peu trop car je ne suis pas sûre qu'elle soit claire pour tout le monde. Il me semble que c'est l'expression finale "en diable" qui en délivre la clef. Peut-être faudrait-il être un petit peu (seulement un tout petit peu) plus explicite. Mais c'est un reproche mineur.

   JPMahe   
22/6/2017
 a aimé ce texte 
Bien
Bains chauds pour une douche froide sur le petit monde des névrosés anonymes. Texte très sympathique.


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