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Sentimental/Romanesque
Alexan : Le vieux Raymond [Sélection GL]
 Publié le 04/09/17  -  13 commentaires  -  35430 caractères  -  156 lectures    Autres textes du même auteur

Je te jure, fiston, un jour… oui un jour je partirai vraiment.


Le vieux Raymond [Sélection GL]


La première fois que je l’ai vu, c’était dans un petit bar d’Aubagne où j’aimais m’arrêter pour prendre mon café du matin, sur le chemin du travail.

Assis à une table, il parlait sans relâche, un inépuisable monologue face à un interlocuteur qui le regardait en souriant sans dire mot.

Je trouvai la scène amusante. Puis, à observer ce face-à-face, j’y décelai quelque chose de déconcertant, de grotesque, et aussi, je n’aurais su expliquer pourquoi, de… déchirant.

L’infatigable bavard devait bien avoir dans les soixante-quinze ans. Il semblait petit et plutôt mince, en dépit d’une bedaine qui débordait légèrement de ses hanches ; une fine moustache ressortait laborieusement de ses joues mal rasées, quelques cheveux gris s’étiraient à l’arrière d’un front dégarni, et ses yeux m’apparaissaient d’un bleu délavé, un bleu qu’on pouvait imaginer pâli par la fatigue, les désillusions, et peut-être aussi l’alcool… Malgré cette impression pas forcément flatteuse d’emblée, j’étais quand même tenté de dire que c’était un « beau vieux ». Quelque chose se dégageait de lui, un truc un peu étrange, qui me poussait à le trouver agréable et sympathique à regarder.

Quant au type qui lui faisait face, je ne lui donnais pas plus de quarante ans ; physique assez commun, cheveux bruns coupés court, barbe de trois jours… Mais c’était dans son attitude qu’il était particulier. En effet, il semblait écouter son aîné avec un intérêt extrême, tel un élève qui apprend la vie auprès d’un grand maître, conscient de la chance qu’il a d’assister à un cours magistral.

Je ne pouvais m’empêcher de rester le regard scotché sur eux, me sentant pris en même temps d’une sensation délirante et loufoque. À les voir ainsi, l’un parlant avec sa cadence répétitive et aussi rythmée qu’une impro de jazz, l’autre si attentif avec son regard mi-captivé mi-dément, j’avais l’impression d’assister à un jeu dans lequel le silencieux devait attendre le moment propice pour choper la langue du bavard. Je les fixais, à l’affût de l’instant burlesque où le plus jeune balancerait sa main à la vitesse d’un serpent dans la bouche de l’autre !

Mais, bien entendu, rien de tel ne se produisit.


— Il est sourd-muet, commenta Manu en me servant mon café.

— Quoi ? sursautai-je.


Il avait suivi mon regard qui ne lâchait pas les deux hommes.

Manu était ce genre de patron de bar bien typique de la région. Avec son physique à la Cantona, sa gueule pas commode et ses épaules de rugbyman, il représentait une dissuasion de taille face aux fauteurs de troubles éventuels, et il inspirait le respect à sa clientèle d’habitués. Manu ne riait pas, il s’esclaffait ; il ne parlait pas, il aboyait. Mais néanmoins il se montrait toujours convivial ; disons seulement qu’il valait mieux ne pas oublier de payer sa note.


— Le Didier, là ! dit-il en me montrant la table du menton. Il entend pas, et il parle pas.

— Le jeune ?…

— Bé oui… pas le vieux, tiens ! dit-il en pointant son index sur sa tempe tout en me lançant un regard affligé.


Un client accoudé au bar intervint à son tour :


— Ouais, parce que le vieux, eh bé je sais pas s’il est sourd, mais en tout cas il est pas muet !

— Ce serait trop beau, rigola Manu.


J’étais intrigué.


— Oui, mais s’il est sourd le… Didier, pourquoi l’autre lui parle ?

— Parce que Didier ça lui fait de l’entraînement pour lire sur les lèvres, et ça l’amuse.

— Ah bon… mais… le vieux monsieur ne parle pas un peu vite pour ça ?

— Le vieux monsieur, comme tu dis, il s’appelle Raymond, continua Manu. Et à part Didier, personne n’a la patience ni l’envie de l’écouter, le vieux Raymond.


Je fus pris d’une soudaine compassion pour le pauvre homme. Et puis, peut-être un peu par défi, je me dis que s’il le voulait bien, le vieux Raymond, moi je pourrais l’écouter et même, qui sait ? le trouver intéressant.

Évidemment, ça me ressemblait bien, ça ! Comme disaient mes proches pour me vanner : « Toi t’es né avec un tonnelet d’eau-de-vie accroché au cou. Arrête un peu de te prendre pour un saint-bernard ! »

Cela dit, je me gardai bien d’exprimer mon sentiment d’empathie devant Manu et ses comparses, l’occasion eût été trop belle pour eux de se gausser de ma sensiblerie. Mais, tout au long de ma journée de travail, je ne cessai de penser au vieux Raymond, jusqu’à ce que je retourne dans mon petit appartement et que je m’installe sur le balcon pour fumer quelques cigarettes en cogitant.

Ainsi donc, il savait que l’autre n’entendait rien, qu’il ne saisirait sur ses lèvres que quelques mots de son flot de paroles. Mais malgré cela, à défaut de pouvoir être réellement écouté et compris, il racontait sa vie à un sourd-muet pour se sentir moins seul…

Je trouvais cela bouleversant. Il y avait, dans cette démarche, quelque chose à la fois de beau et de révoltant.

De beau, tout d’abord, dans le fait que chacun de ces deux « anormaux » avait trouvé dans l’autre ce qui lui manquait. Ils se complétaient, associaient leurs handicaps dans le but de les atténuer. Leurs handicaps, oui, car le fait d’être ignoré et laissé pour compte en était forcément un, aussi, pour le vieux Raymond.

Toutes proportions gardées bien sûr, cela me rappelait les histoires que me racontait mon grand-père sur les soldats estropiés de la Première Guerre mondiale, les aveugles qui poussaient des charrettes où reposaient les culs-de-jatte qui les guidaient. Cela donnait envie de lâcher des rires mêlés de sanglots.

Et puis révoltant, aussi. Révoltant de délaisser, mépriser ainsi un pauvre homme dans la dernière partie de sa vie. Alors que tout ce qu’il demandait, c’était de pouvoir partager ses expériences, et non pas seulement dans un monologue face à un sourd-muet, mais aussi dans un échange avec d’autres pouvant peut-être le comprendre, et lui répondre.

Dans une société où l’on attache tant d’importance aux enfants, je me demandais quel message ils recevaient, ces gosses, en voyant le genre d’avenir qu’on leur promettait ; une fin sans aucun sens, un destin ingrat et absurde.

Car ce n’était pas pour Didier que je m’en faisais. Il semblait évident, lorsque l’on observait ce tandem, que le Didier en question, malgré son infirmité, était loin d’être le plus malheureux des deux. Manu me l’avait d’ailleurs suggéré en me le décrivant plutôt jovial quand il se retrouvait avec son groupe d’amis qui tous, bien sûr, maîtrisaient le langage des signes.

Raymond, lui, m’avait semblé transporter comme une tristesse, un chagrin chargé de désillusions, de fatalité et de solitude.


Le lendemain, comme chaque jour je me garai devant le café de Manu. Le comptoir était déjà envahi en partie par les mêmes habitués, que je connaissais surtout de vue. Nous échangions parfois quelques mots, un propos, un commentaire ou une boutade concernant l’actualité, la première page du journal, le match de l’OM, le club de rugby local… mais je ne cherchais pas vraiment à tisser des liens plus importants. Cela m’allait très bien ainsi ; le patron connaissait mon prénom, mon métier, et basta.


— Et un café pour Christophe ! tonna-t-il en me voyant arriver.


Jetant un coup d’œil à la salle, je demandai :


— Le vieux Raymond n’est pas là aujourd’hui ?

— Il va sûrement pas tarder… Ça fait des années qu’il vient tous les jours, et sans exception !

— Ah bon ? Mais je ne l’avais jamais remarqué avant hier matin…

— T’es pas le seul, va ! Il a beau être bavard comme une pie, personne le remarque. C’est qu’il est casse-couilles comme pas deux, faut dire ! et les casse-couilles, ici, on leur dit « ta gueule ! », et quand ils continuent, eh bé on les ignore. Vaut mieux ça que de leur en mettre une, pas vrai ?


Je ne l’écoutais plus. Je me sentais honteux. Cela faisait des mois que je fréquentais cet établissement, et je me demandais combien de fois j’avais dû passer devant le pauvre vieux sans le voir. En vérité, je ne valais pas mieux que les autres.

Je reconnus Didier, assis à une table en compagnie d’une jeune femme distinguée, avec laquelle il conversait en langage des signes.


— C’est sa compagne ? demandai-je discrètement à Manu.

— Sa sœur ! claironna celui-ci en guise de réponse.

— T’es pas obligé de hurler, osai-je lui reprocher, c’est eux qui sont sourds, pas moi.

— Qui t’a dit que la sœur était sourde ? C’est pas contagieux, idiot ! continua-t-il sans, bien sûr, baisser le volume.


Par « contagieux », je supposais qu’il voulait dire « congénital », mais comme Manu n’appréciait guère les remontrances, je m’abstins : deux remarques d’affilée, ça pouvait faire beaucoup… De toute façon, la sœur de Didier venait justement de se retourner vers nous pour corriger l’erreur de langage.

Aussi sec, Manu aboya :


— Oh, ça va Véro, hein ! tu vas pas me faire le dico ! Contagieux… Congénital… Con tout court, ouais ! termina-t-il en lâchant un rire que n’aurait pas désavoué un gorille.


Me tournant vers la jeune femme, je lui demandai :


— C’est difficile ?

— Quoi donc ?

— La langue des signes…

— Ah, c’est que moi je l’ai apprise toute petite. Mes parents y tenaient… pour mon frère bien sûr. Et du coup ça s’est fait sans difficulté. Mais si vous voulez en savoir plus, demandez donc à Raymond ce qu’il en pense… Le voici justement qui arrive.

— Me demander ?… s’écria le vieux, déjà tout excité, qu’est-ce que vous voulez me demander ?

— Ainsi, lui dis-je, vous apprenez la langue des signes ?


Se tournant vivement vers moi, il m’examina, comme hésitant à croire que c’était bien à lui que je m’adressais.


— Euh… oui, articula-t-il enfin, mais je débute à peine. Pour l’instant je ne sais pas exprimer grand-chose. Mais bientôt, j’espère pouvoir communiquer avec Didier et ses amis, et…

— Te presse pas trop, va ! le coupa sans vergogne Manu. Ils risqueraient d’être déçus !

— Ah ? s’étonna Raymond qui ne semblait pas saisir la raillerie du patron. Et pourquoi ça ?

— Eh bé, réfléchis ! Le seul qui veut bien te laisser parler, il comprend rien à ce que tu dis !

— Mais c’est pas vrai, protesta Raymond, je vois bien que des fois il comprend, il arrive même qu’il acquiesce.


Manu partit alors d’un rire tonitruant en prenant à témoin ses potes collés au comptoir, qui aussitôt l’accompagnèrent de leurs ricanements complaisants.

Le pauvre Raymond semblait avoir reçu un choc sur la tête, qui l’écrasait, tandis que les railleries se succédaient au milieu des rires gras.


— Il acquiesce, qu’il dit !

— Le sourd acquiesce !

— Bé oui ! Fallait nous le dire qu’il suffisait d’acquiescer, on savait pas !

— J’ai demandé l’heure à Didier, et il a acquiescé !

— Et comment il a acquiescé ? Comme ça ? ou comme ça ?

— Sacré Raymond !

— Attends, j’vais lui filer le chien qui bouge la tête dans ma voiture ! Il acquiesce aussi !

— Oh putain, qu’il est drôle ce Raymond ! Un vrai prototype ! J’en chiale de rire !

— Un prototype ! C’est bien ça !

— Raymond le prototype ! L’homme qui fait acquiescer !


Le pauvre vieux était largué au milieu de ce tintamarre grotesque. Il ne semblait absolument pas saisir ce qui se passait. Avec son regard de Père Goriot, il faisait peine à voir.


— Allez vaï ! lâcha Manu, je t’offre ton pastis, tu l’as bien mérité. Té ! voilà pour toi, Raymond le rigolo ! Bon bah, qu’est-ce que t’attends ? Acquiesce !


Sous les rires relancés, Raymond s’empara du pastis comme s’il s’agissait d’un précieux réconfort et, l’air encore abattu, alla s’asseoir à la table de Véro et Didier. Malheureusement, ceux-ci se levèrent aussitôt.


— Oh… vous ne restez pas ? dit le vieil homme, déçu.

— Il faut bien aller bosser, répondit Véro avec un petit sourire triste, tandis que Didier faisait au revoir de la main.

— Et ne faites pas attention à eux, conseilla Véro en désignant Manu et ses potes qui maintenant chantaient à tue-tête : « Acquiesce ! Acquiesce !… »


Le frère et la sœur avaient quitté le café, et Raymond était maintenant seul à sa table, son pastis posé devant lui comme le prix de consolation qu’on décerne aux vaincus.

Sous le coup d’une impulsion qui me surprit moi-même car je n’étais pas du genre à m’imposer de la sorte, je vins m’asseoir en face du vieil homme sans même lui en demander la permission.

Et je me surpris à nouveau à m’entendre lui demander :


— Pourquoi vous continuez de venir ici ?


Je me sentais encore choqué par la scène de « divertissement » à laquelle je venais d’assister, cette sorte de curée imbécile…

Raymond me regarda fixement.


— Et tu veux que j’aille où ? au café d’en face ? Ce sera pareil…


Je ne savais que répondre à cette remarque désabusée. Je comprenais surtout que le vieil homme ne supportait pas la solitude, et plutôt que de devoir l’affronter préférait encore subir ces humiliations.


— Et puis tu sais, continua-t-il, c’est pas si grave ! S’ils se moquent, c’est parce qu’ils m’aiment bien au fond.


Mais je me rendais bien compte qu’il n’en croyait rien. Il s’exclama alors :


— Ah ! C’est sûr que quand j’étais plus jeune, on se foutait pas de moi comme ça ! J’étais respecté, j’étais quelqu’un… Et puis, tu sais, ça va vite… Retraite, divorce, ennui, mélancolie, manque d’amour, manque de fric, trop d’alcool, trop de cigarettes… Et puis, cette société qui change trop vite pour moi… Je comprends plus rien…


À peine le temps de boire une gorgée de son pastis qu’il enchaînait déjà :


— Mais à l’époque, ah ! À l’époque… j’étais dans le coup ! À la mode même !


Sur sa lancée, il déversait tout ce qu’il avait sur le cœur dans le plus grand désordre, se répétant à l’envi. Au bout d’un moment, je dus bien admettre qu’il était difficile sinon impossible d’en placer une ! Son débit ne laissait pas la place à la moindre intervention.

Je ne pus du coup m’empêcher de regretter mon initiative, et me sentis pris d’impatience, pressé de m’en aller, de fuir ! Mais aussitôt, cette pensée m’emplit de culpabilité.

J’essayais tant bien que mal de me conduire mieux que les autres, mais je me rendais bien compte que le défi était de taille.

Je voyais la gueule de Manu derrière le bar, avec son sourire en coin.

Dans quel pétrin je m’étais fourré…

Je tentais de rester concentré sur les explications de mon pitoyable interlocuteur qui, maintenant, m’énumérait avec force détails les mots qu’il connaissait en langue des signes, et surtout ceux qu’il ne connaissait pas encore, et la liste était longue. Cependant, ça m’attendrissait de le voir devenir tout enjoué à l’idée de pouvoir s’intégrer dans un groupe de gens qui ne l’avait pas rejeté.

Mais soudain, une ombre s’installa sur son visage, et il parut complètement abattu, se lamentant alors :


— Non, mais de toute façon j’y arriverai jamais. Dans ma vie, j’ai toujours tout laissé tomber, tout.


Puis sans transition il me fixa, avec un regard étonnamment intense.


— Un conseil, fiston : accroche-toi à un truc. Peu importe lequel ! Accroche-toi. Fais-le, finis-le, et il te sauvera… Y a pas besoin de grimper dix échelles, tu sais. Tu en choisis une, et tu vas jusqu’en haut. C’est tout. Une échelle… une. Ça suffit pour voir de l’autre côté du mur.


Un silence suivit cette déclaration qui tranchait avec les autres propos si décousus du vieil homme.

Je restais là à méditer ces paroles, en prenant conscience du curieux impact qu’elles provoquaient en moi. Et je me demandais ce qui s’était passé, pour que le vieux radoteur se métamorphose subitement en vieux sage.

Lequel vieux sage me sortit soudain, et fort à propos, de ma rêverie :


— Tu bosses pas, fiston ?

— Si. Je commence à 9 h.


Il me désigna la pendule derrière le bar.


— Oh merde ! m’écriai-je.


J’étais en retard d’une demi-heure.


*

* *


Comme tous les vendredis soir, pour la venue de ma petite amie Sabine qui passait le week-end avec moi, je m’étais attelé à la préparation d’un bon petit dîner aux saveurs parfumées de notre Provence.

Tout comme moi, Sabine était originaire de Marseille. Quand je l’avais rencontrée, six ans auparavant, elle était encore étudiante à Aix, et moi je venais juste de trouver un emploi d’agent immobilier. Les deux premières années, nous nous étions fréquentés comme deux amis, deux meilleurs amis. Et puis, un jour, elle avait pris l’initiative de m’avouer son sentiment amoureux, et j’avais pensé alors que moi aussi j’avais un faible pour elle. Et c’était ainsi que nous étions devenus un couple. Cela me faisait bizarre au début, elle que j’avais un temps considéré comme une petite sœur. Mais je ne pouvais nier qu’elle me plaisait également, et puis je dois bien avouer que j’ai toujours préféré que l’on prenne ce genre de décision à ma place.

Même si nous étions maintenant ensemble depuis déjà quatre ans, Sabine continuait d’habiter à Aix, en colocation. Et moi ici, à Aubagne, seul. J’aimais ce mode de vie, et je n’étais pas pressé d’en changer. Je trouvais qu’il y avait les avantages du couple sans les inconvénients.

Sabine s’accommodait de cette situation, même s’il était vrai qu’elle aurait bien aimé que cela « bouge » comme elle disait. L’idée de fonder une famille lui trottait dans la tête, comme la plupart des jeunes filles ayant rencontré celui qu’elles pensent être l’homme de leur vie.

Mais, avant ce grand pas, elle rêvait que l’on parte en voyage, un grand voyage, l’aventure…


— Le Canada… disait-elle, les yeux scintillants. On pourrait économiser et partir pendant un an avec le visa Vacances-Travail. On bourlinguerait comme ça, en parsemant notre route de petits boulots, et puis au retour… au retour… Enfin, tu vois…


Je voyais bien. Mais j’avais un emploi stable et plutôt bien payé. D’ailleurs j’avais déjà pas mal économisé depuis six ans, même si je ne savais pas bien pourquoi je m’appliquais à mettre cet argent de côté. Et si Sabine rêvait passionnément du Canada en ma compagnie, moi je ne rêvais pas de grand-chose. Même pas d’elle. Bien sûr je l’aimais beaucoup, mais pour être honnête, elle ou une autre ? La Provence ou le Canada ? Est-ce que tout cela avait vraiment de l’importance ? Le côté routinier de ma vie ne me déplaisait pas. C’était facile et sécurisant.

Seulement, depuis ma rencontre avec Raymond, quelque chose changeait en moi ; mais je ne parvenais pas à saisir quoi.

Je racontai à Sabine les malheurs du vieux bavard puis notre face-à-face.

Sabine s’émut aussitôt.


— Pauvre homme ! Tu as bien fait, Christophe, d’aller vers lui. D’ailleurs, ça ne m’étonne pas de toi. Tu es bon, généreux, et tu as une telle empathie avec les autres. Ça me touche…


Après une petite hésitation, elle ajouta :


— Tu as un vrai sentiment chrétien.


Ah oui, j’avais oublié de préciser ceci : Sabine était profondément croyante. Ce qui n’était absolument pas mon cas, et je protestai sur-le-champ :


— Ah non, Sabine ! Tu ne vas pas encore me bassiner avec ta religion !

— Mais non, je vais pas te bassiner… Seulement te dire que, même si tu penses que la religion est hypocrite, cela ne change rien à la beauté du message de Jésus, ce message de fraternité que toi-même, d’ailleurs, tu appliques avec ce vieux monsieur. Tu as beau te dire complètement athée, pour moi, tu es plus chrétien que d’aucuns qui fréquentent les églises et ignorent ceux qui mendient devant.


Même si cela m’agaçait quand Sabine semblait vouloir tenter une manœuvre d’évangélisation à mon égard, je devais bien admettre que là, j’étais touché par ses propos – tout en restant cependant prudent, car je savais combien nous avions, elle et moi, cette tendance à nous émouvoir facilement et faire preuve de trop de candeur, ce qui nous faisait parfois passer pour un couple carrément bébête et gnian-gnian. Cette particularité avait d’ailleurs souvent été source de moqueries venant de nos amis. Ce n’était pas méchant… mais, pour m’en défendre, j’avais appris à développer une ironie qui pouvait friser le cynisme, et Sabine, qui demeurait la plus naïve, la plus transparente de nous deux, n’aimait pas cela. Mais moi, j’avais réussi ainsi à me forger une armure efficace. Et maintenant, en plus, je me disais que je ne voulais pas finir un jour comme le pauvre Raymond.

Je rapportai à ma compagne ce surprenant moment d’éclaircie, de lumineuse lucidité qui m’avait frappé à la fin de ses propos.

Elle me regarda et fit une petite moue boudeuse :


— Tu vas encore te plaindre que je te bassine avec ma religion…


Je levai les yeux au ciel.


— Quoi… tu vas pas me dire que la Vierge lui est apparue…

— Mais nan, idiot ! s’exclama-t-elle en riant.

— Alors vas-y, je t’écoute.

— Tu sais, quand je prie, parfois je me demande bien ce que je fais là, comme ça, les mains jointes, à parler à… personne…

— Ah là, je te reçois cinq sur cinq, oui.


Elle continua, ignorant mon sarcasme :


— Puis, par moments, j’ai l’impression qu’on m’écoute, qu’on m’entend. Je ne sais pas si c’est Dieu, ou une énergie, ou mon imagination… Mais peu importe ! On m’écoute, Christophe. Quelque chose s’est réveillé. En fait, c’était là avant. Oui, c’était déjà là, et ça l’a toujours été. Je ne sais pas ce que c’est, mais… mais quand tu as décrit le regard du vieux Raymond, son visage, ses mots, cela m’a fait penser à cette chose. Comme un déclic passager, un Éveil, un moment de Grâce. Un truc qu’on a tous en nous.


J’étais en plein songe.

Était-ce comme dans ces légendes où l’on raconte que des dieux se déguisent en mendiants ?

Peut-être fallait-il d’abord manger son pain noir, pour que Raymond nous nourrisse ensuite de son miel…

C’était comme une porte à franchir, un passage camouflé, l’angoisse avant la lumière, l’épreuve avant la récompense.

Le savait-il ? En était-il conscient ?

Ou alors, était-ce tout simplement moi qui avais imaginé, inventé tout cela ?

J’en étais bien capable !

Et je n’ignorais pas qu’avec la perception, on peut transformer l’Univers…


*

* *


Le week-end m’apparut long malgré la présence de ma petite amie ; j’attendais le début de la semaine avec impatience. Plusieurs fois, pendant ces deux jours, j’avais même hésité à me rendre au bar de Manu, mais ce n’était pas dans mes habitudes. Non pas que qui que ce soit s’en serait rendu compte, mais disons que cela m’aurait obligé à admettre que j’étais obsédé par cette histoire.

Quand lundi matin sonna enfin, je filai au café et rejoignis le vieux Raymond à sa table, où il semblait m’attendre. Je venais de croiser Didier et Véro qui partaient au travail, et moi, je n’avais que quinze minutes à passer en présence de ce vieil homme que je ne pouvais maintenant m’empêcher de trouver étrange, avant de devoir le quitter pour ne pas être de nouveau en retard.

Sans lui laisser le temps de partir dans ses radotages, j’essayai de l’orienter afin d’en savoir plus sur lui. J’appris ainsi qu’il vivait dans un genre de foyer où se mêlaient d’autres retraités, mais aussi quelques cas sociaux. Il n’avait pas vraiment d’amis là-bas. Juste son voisin de palier, Bernard, qu’il décrivait comme un « pochetron ex-taulard », mais qui au moins lui faisait la causette, parfois, quand il avait un coup dans le nez. Raymond avait divorcé vingt ans auparavant. Après cela, il n’avait plus eu d’histoire sentimentale. Son ex-femme s’était remariée, et cela faisait bien longtemps qu’il n’en avait plus la moindre nouvelle.

Puis, estimant le sujet clos, il repartit dans ses délires habituels, rabâchant, ressassant toujours les mêmes choses avec les mêmes mots : … et ses malheurs… et sa solitude… et les belles années de sa vie à l’époque où il était respecté, apprécié, dans le coup, à la mode…

Son ambivalence et ses obsessions me faisaient comprendre pourquoi on pouvait le trouver insupportable.

Je réussis à l’interrompre pour lui demander :


— Vous n’avez pas d’enfants, des petits-enfants ?


Il parut surpris par ma question, et bredouilla :


— J’ai une fille, et puis… enfin, je sais plus… on se voit plus trop. Elle habite à Lyon et elle descend rarement. Des fois, je me suis demandé si elle avait pas honte de moi… Enfin… de toute façon, je savais même pas quoi lui dire quand on se voyait…


Manu, qui était en train de débarrasser la table voisine, avait saisi la dernière phrase.


— Bah voilà ! clama-t-il, goguenard, à la cantonade. Tout arrive ! Le vieux Raymond ne sait pas quoi dire ! Eh bé Raymond, quand on sait pas quoi dire, on se tait ! c’est aussi simple que ça. Et surtout !… on acquiesce !


Le tumulte des rires emplit toute la salle.

Moi, c’était eux que je trouvais insupportables.


*

* *


La semaine se passa ainsi ; sans nouvelle étincelle…

C’était si frustrant ! Chaque fois, je devais couper court pour être à l’heure au travail. Et la plupart du temps je me disais que j’étais certainement parti juste avant le moment de Grâce. Je demeurais pourtant à l’affût, je le guettais pendant qu’il débitait ses propos comme allongé sur le divan. Puis, l’heure arrivant, il me fallait le quitter. Et sur la route, en conduisant jusqu’à mon boulot, j’imaginais cet instant magique et indéfinissable surgir aussitôt après mon départ ; et là, personne pour s’en apercevoir. Je la voyais, cette étincelle, pétiller au milieu de l’ignorance et du mépris, et se fondre dans l’oubli comme si elle n’avait jamais existé. Et cela me rappelait quand j’étais enfant et que je venais de manquer un arc-en-ciel que tout le monde avait pu admirer, et que je restais là, les yeux dans les nuages éparpillés qui déversaient leurs gouttes autour du soleil, à essayer de distinguer les traces coloriées qui s’évanouissaient inexorablement.

Du coup, afin de passer plus de temps avec Raymond et augmenter mes chances, je décidai d’arriver au café un peu plus tôt. Malheureusement, à cette heure-là, il y avait aussi Didier avec ses amis et sa sœur. À les voir me dérober ces précieux moments où aurait pu se produire l’étincelle, j’en étais presque venu à les détester ! Car bien sûr, en plein égocentrisme, je pensais que « cela » ne pouvait arriver que si j’étais seul en présence du vieil homme, que c’est seulement à moi que sa face cachée, secrète, divine accepterait de se montrer. Oui, pour quelqu’un qui ne croyait pas en Dieu, je devenais étonnamment mystique !

Et là, je regardais Raymond enchaîner des gestes insensés pour tenter de s’exprimer en langue des signes. Mais le pauvre vieux se démenait en vain, car personne ne semblait piger ce qu’il racontait…

Et je le trouvais déchirant.


Puis un jour, alors que je me retrouvais seul avec lui, cela se passa de nouveau. L’étincelle… enfin… elle était de retour, elle était là ! Comme disait Sabine : elle l’avait toujours été. Oui, elle demeurait enfouie quelque part dans les abîmes de son âme.

Cette fois, je ne saurais répéter ce qu’il dit. C’était pourtant clair, limpide, des mots percutants, vrais, justes. Mais cela se manifesta en moi comme ces choses que l’on intègre sans les intellectualiser, que l’on ressent, et qui passent à travers les mailles du conscient pour que l’inconscient les réceptionne, les enregistre, et aucun mot ne peut expliquer ce phénomène.

Celui qui avait la patience, la compassion d’écouter le vieux Raymond, celui-là pouvait assister tôt ou tard à un moment d’inspiration et de grande clairvoyance. Voir de nouveau ses yeux s’ouvrir, son regard s’éveiller, sa peau même changer de couleur… Et en l’espace de quelques secondes, qu’il ne fallait pas manquer, l’entendre énoncer des paroles de sagesse… avant qu’il ne redevienne celui que tout le monde croyait connaître : le vieux Raymond. Un cas désespéré, un croulant sénile, bizarre et soûlant. Un « prototype », comme ils aimaient dire.


Au fur et à mesure que s’enchaînaient nos rencontres matinales, je parvenais de moins en moins à discerner les instants où surgissait l’étincelle. Non pas qu’ils aient disparu, mais c’était plutôt comme si l’ambivalence du vieil homme s’atténuait ; il devenait moins radoteur, moins ennuyeux… mais également moins « sage ». Les extrêmes de sa personnalité semblaient se rapprocher, peut-être pour une saine réconciliation.

Était-ce ma compagnie qui lui faisait cet effet ? Un peu comme un instrument de musique oublié se réaccorde doucement lorsque l’on en joue de nouveau… Ou étais-je encore victime de mon égocentrisme et de mon imagination ? Les autres ne semblaient pas se rendre compte d’un changement quelconque. Mais, en même temps, ils ne l’écoutaient ni ne l’entendaient !

Et en ce nouveau matin, moi qui écoutais Raymond, j’entendais son discours changer, se détourner peu à peu du passé pour regarder vers l’avenir. Il ne se plaignait plus, ne se lamentait plus, ne geignait plus… Maintenant il me racontait ses rêves et ses aspirations… tout ce qu’il souhaitait accomplir.


— Il ne me reste plus que ça, me disait-il. Mes rêves… ouais, mes rêves…


Puis s’animant d’un coup :


— Et ça fiston ! Ça, tu vois, je vais le faire, oh oui, je vais le faire ! Écoute-moi bien… je vais partir, je vais me tirer d’ici !


Raymond lisait beaucoup, il passait aussi des heures devant les chaînes de voyages et les images du monde sur Internet, et je le découvrais véritablement cultivé sur le sujet. Du coup, aussi silencieux et attentif qu’aurait pu l’être Didier, je restais suspendu aux lèvres du vieil homme, savourant sa nouvelle rhétorique qui fredonnait à mes oreilles comme de la poésie. Par ses mots, il me faisait voyager dans tous ces eldorados qui le faisaient rêver et qu’il me décrivait avec exaltation et ferveur.

Il fit une pause pour avaler une gorgée de pastis, puis dit une nouvelle fois avec force :


— Je te jure, fiston, je vais me tirer… Oui, un jour… un jour je partirai !


C’était devenu son leitmotiv, son slogan : un jour je partirai… Pris dans son excitation, il ne s’apercevait pas qu’il était en train d’élever la voix au point de faire se retourner les habitués du bar.


— C’est jamais trop tard, tu sais, continuait-il. Jamais trop tard pour vivre ses rêves !


On entendit alors la grosse gueule de Manu :


— Eh, vous l’entendez le Raymond ? Avant il faisait que parler, mais maintenant en plus il rêve !


Raymond baissa la tête, l’air confus, honteux ; puis la releva pour me regarder. Peut-être discerna-t-il de la compassion dans mon regard ? Toujours est-il que cela le ranima ; comme piqué dans son orgueil, il me lança avec défi :


— Tu m’en crois pas capable ?

— Si si… bien sûr ! pourquoi pas… m’empressai-je de répliquer en bafouillant.


Il me scruta un moment en silence comme s’il essayait d’évaluer ma sincérité. Puis il chuchota avec passion :


— Tu verras, fiston. Un jour tu arriveras ici, et tu me verras pas… Alors tu sauras, oui… tu sauras que le vieux Raymond il a eu les couilles, il est parti ! Et promets-moi, fiston, promets-moi, tu seras pas triste. Non, non… tu seras heureux, ouais, tu seras content pour moi, tu m’imagineras là-bas, vers l’horizon, en train de suivre le vent, une étoile au hasard, et tu penseras à moi. Et moi, le long de mon périple, je penserai à toi aussi, je me dirai : « Bordel ! Y en a un qui pense à moi ! Et peut-être même que je lui manque un peu, à ce brave jeune homme… »


*

* *


Les jours qui suivirent me trouvèrent mélancolique, pensif, absent.

Puis le week-end arriva. Deux jours sans voir Raymond. Je ne savais pas vraiment pourquoi je continuais de m’imposer cette règle de n’aller au café ni le samedi ni le dimanche. Mais cela avait un goût de nécessité.

En ce dimanche soir, je regardais Sabine qui préparait son sac.


— Ça fait quoi d’avoir un rêve ? lui demandai-je soudain.


Elle me dévisagea, perplexe.


— Je te trouve bizarre ces temps-ci, Christophe. C’est le pauvre vieux du café qui te fait cet effet ?

— Je sais pas… Peut-être.

— Bon, comment tu veux que j’explique un rêve… On a tous des rêves !

— Ben non, tu sais bien : pas moi.

— Mais enfin, un rêve ce n’est pas obligé d’être quelque chose de grandiose. Ça peut être tout simple…


Elle s’interrompit et son visage s’assombrit.

Quand Sabine prenait cette mine grave et soucieuse, immanquablement j’imaginais une catastrophe, tellement était dramatique son expression. Depuis toutes ces années j’aurais dû le savoir et ne pas m’affoler, mais à chaque fois mon cœur s’arrêtait.


— Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? lui demandai-je inquiet.

— Non non, rien…

— Comment ça, rien ? Je vois bien qu’il y a quelque chose, qu’est-ce qui va pas ?

— Non, c’est juste que…


Elle hésita.


— Que quoi ?

— Eh bien… des fois je me demande… je me dis… enfin, c’est quand même dommage de ne pas avoir de rêve. Et puis surtout…

— Oui ?

— D’être amoureuse de quelqu’un qui n’en a pas.


J’eus du mal à trouver le sommeil cette nuit-là, et le lendemain matin j’étais en retard sur mon horaire quand je pénétrai dans le bistro de Manu. Mais alors que j’avais imaginé Raymond guettant avec impatience mon arrivée, j’eus la surprise de constater qu’il n’était pas encore là.

Je bus mon café, puis en commandai un deuxième, mais toujours pas de Raymond. De fil en aiguille il fut 9 h. Quitte à arriver en retard au boulot, je décidai d’attendre encore, ne me résignant pas à partir sans avoir vu le vieil homme. Les minutes s’écoulaient : 9 h 10… 9 h 20… et toujours rien.

Manu lui-même se montrait carrément effaré. Selon lui, c’était la première fois depuis qu’il avait repris le café – c’est-à-dire plus d’une décennie – que le vieux était aussi en retard.

Je regardais la table de Raymond, sa chaise vide…

Et soudain, je fus pris d’une énorme bouffée de joie. Mais bien sûr, comment n’y avais-je pas pensé ? Il avait franchi le pas, il était parti ! Comme il me l’avait tant annoncé… Raymond était parti, il s’était tiré !

Le cœur exalté, je courus à son foyer. C’est son voisin Bernard qui m’ouvrit. Bernard le pochetron, l’ex-taulard, qu’un jour Raymond m’avait présenté. Son visage m’apparut particulièrement marqué, et je me dis qu’il était sûrement triste d’être désormais privé de son compagnon. Aussi réprimai-je un peu mon excitation pour lui demander :


— Alors Raymond… il est vraiment parti ?


Il ouvrit lentement la bouche :


— Ce matin…

— Ah, ce matin ?…

— Ce matin… je l’ai trouvé mort dans son lit.


Tout d’abord, je me sentis comme glacé de l’intérieur. Mort… Raymond… cela ne m’avait même pas traversé l’esprit, c’était comme s’il ne pouvait pas, ne devait pas mourir.

Et puis, soudain… une lueur, je sentis une lueur qui faisait son chemin en moi et me réchauffait. Le même genre de lueur, peut-être, de splendide étincelle que j’avais pu voir flamboyer dans le regard de mon vieux compagnon.

Alors je me mis à courir, à courir, courir… Je courais, j’avais Raymond en moi, oui, je le ressentais. Je portais ses passions folles, ses rêves jamais accomplis, ses illusions. Les yeux noyés de larmes, empli d’émotion et d’espoir, je courais vers mon avenir, ma destinée.

Vers mon rêve, enfin.


*

* *


Aujourd’hui, cela fait cinq ans que mon vieux Raymond est « parti ». Je me demande parfois s’il a trouvé son eldorado.

Nous lui avons rendu visite dans le petit cimetière qu’entourent les collines, et nous avons mis des fleurs sur sa tombe.

Nous, c’est-à-dire moi, ma femme Sabine et notre petit garçon de trois ans, qui est né au Canada et qui fait notre joie. Il s’appelle Frédéric, et en second prénom nous lui avons donné celui de « Raymond ».

Nous lui devions bien ça, n’est-ce pas…


 
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   plumette   
17/8/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
ce texte est plein d'humanité et de sensibilité.
il m'a touchée au point que j'en ai eu les larmes aux yeux, ce qui est assez rare finalement.
le narrateur installe très lentement ses personnages. C'est finalement un atout. Rien n'est manichéen et j'ai vraiment ressenti l'évolution du narrateur vis à vis du vieux Raymond.
Quelle belle rencontre!

la partie qui a failli me faire sortir du propos est le début du deuxième chapitre, un peu trop long à mon goût au sujet de la relation avec Sabine. mais finalement, il était absolument nécessaire d'introduire Sabine car c'est elle qui donne une autre dimension à la rencontre entre Christophe et le vieux.

Car oui, j'ai été sensible à la dimension "spirituelle", à cette notion d'étincelle, ou de grâce et à la transformation progressive du vieux Raymond au contact de Christophe, et réciproquement.Je crois que c'est cela qui m'a émue.

Je suis "épatée" par ce texte. je ne sais pas trop comment le dire autrement. En partant de peu de choses, vous réussissez à donner vie à un univers ( celui du café avec ces gros lourdauds qui font des gorges chaudes autour du vieux Raymond) et à deux êtres qui se trouvent sans se chercher.

Le "départ" de Raymond ne m'a pas étonnée, il était logique de clore la nouvelle ainsi.

L'écriture porte tout cela avec facilité, fluidité.

Vraiment Bravo! Et je suis très curieuse de découvrir l'auteur( e) car je ne doute pas que cette nouvelle soit publiée!

Plumette

   Asrya   
20/8/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une nouvelle un peu en longueur dans l'ensemble.
Le rythme n'a pas été suffisamment vif à mon goût, je n'ai pas réellement été happé par les aventures du vieux Raymond.
Pas vraiment d'intrigue, pas grand chose à se mettre sous la dent tout au long du récit, si ce n'est le sentimentalisme - un peu trop poussé - parsemé dans la nouvelle.
Je me suis un peu ennuyé à vrai dire ; heureusement que Manu, caricature qui se laisse lire, intervient et booste un peu l'histoire ; et encore.

Cette idée d'étincelles dans les yeux de Raymond, cet éclair de lucidité soudain... mouais... ce qu'il dit... ce n'est pas non plus la plus grosse innovation du siècle. C'est assez fade, commun, classique en somme - même si j'ai apprécié votre échelle pour voir de l'autre côté.

Tout n'est pas à jeter attention, le texte reste de qualité, dans l'écriture, mais il est un peu trop plat pour moi.

La chute m'a déçu, aucune saveur ; la relation de votre personnage avec sa compagne également, trop convenu, trop bisounours pour moi.
Je ne reste pas sur ma faim puisque le début ne m'avait pas réellement mis en appétit.

Merci ceci-dit pour la lecture,
Au plaisir de vous lire à nouveau,
Asrya.

   Tadiou   
22/8/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
(Lu et commenté en EL)

Bonjour cher(e)(e) auteur(e). Plus de 35 000 caractères, en ligne, cela peut sembler beaucoup. Eh bien, ici, à l’instar de la phrase de Christophe : « Je ne pouvais m’empêcher de rester le regard scotché sur eux, » j’ai été scotché à votre récit du début à la fin (j’avoue que j’avais intuité la mort de Raymond avant qu’elle ne soit révélée..)

D’abord votre écriture est très belle, fluide, bien équilibrée, pleine de charme, simple..

Et quel beau message d’humanisme ! Ainsi hymne à la solidarité : « Ils se complétaient, associaient leurs handicaps dans le but de les atténuer. Leurs handicaps, oui, car le fait d’être ignoré et laissé pour compte en était forcément un, aussi, pour le vieux Raymond. »

Le vieux Raymond qui transforme son discours, qui donne des conseils de vie :
« Un conseil, fiston : accroche-toi à un truc. Peu importe lequel ! Accroche-toi. Fais-le, finis-le, et il te sauvera… Y a pas besoin de grimper dix échelles, tu sais. Tu en choisis une, et tu vas jusqu’en haut. C’est tout. Une échelle… une. Ça suffit pour voir de l’autre côté du mur. »

Et qui pense à l’avenir. Alors évolution de Christophe qui ressent « l’étincelle ». Et qui parle de ses absences de rêve.

Le passage catho avec Sabine ne me parle pas du tout, mais c’est le choix de l’auteur(e).

Les conneries de Manu et consorts restent relativement discrètes dans le récit ; tant mieux car on a vite compris de quoi il retourne, donc inutile d’en rajouter.

La fin avec mariage, enfant prénommé Raymond, Canada, fait un peu « conte de Noël », mais c’est secondaire, je ne vais pas bouder mon grand plaisir à cette lecture.

C’était super !!!! Une magnifique histoire philosophique d’humanité et D’EVEIL.

Tadiou

   Mistinguette   
4/9/2017
 a aimé ce texte 
Passionnément
Copié/collé du commentaire que j’avais fait en EL mais que je n’ai pas pu poster « Le vieux Raymond » ayant disparu de ma liste :

Je suis sous le charme de cette nouvelle.
Je l’ai lue, relue et re-relue en prenant toujours autant de plaisir.
Que dire de constructif à l’auteur ? Je suis bien en peine.

J’aime tout dans ce récit : l’ambiance de ce bar, les personnages parfaitement dépeints au point de les voir, les entendre (mention spécial pour Manu). Le déroulement des événements, les dialogues. Même les odeurs, qui pourtant ne sont pas décrites ; ça sent le midi de la France, le pastis, le soleil. Et puis cette fin qu’on n’attend pas et qui m’a profondément émue, même en relecture.

Et, au service de cette jolie histoire, une écriture précise, légère, qui m’a embarquée dès les premières lignes, une écriture magique à mes yeux.

Juste une petite remarque : un pastis à 9 heures du matin, est-ce vraiment crédible ?

Un énorme MERCI à l’auteur pour cette lecture.

   hersen   
5/9/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Au-delà de l'histoire racontée, j'ai trouvé le texte très long. De mon point de vue, elle gagnerait à être écourtée; par exemple, les scènes au café : on a compris, d'autant plus qu'on peut, je pense , le voir dans beaucoup d'endroits.
Faire parler Raymond devant un mal-entendant, pour moi, cela ne renforce pas la personnalité de Raymond, ce que l'on doit en savoir;
Il est un être noyé dans la solitude et donc il devient un peu pénible à radoter 50 fois la même chose. OK. Mais il y a ensuite trop de "mise en scène" à mon avis, c'est long, c'est long.

Le narrateur semble bien avoir les deux pieds dans le même sabot, il aurait fallu le faire avancer plus vite;

Et surtout, s'il n'avait pas eu besoin de l'aide du catholicisme, disons que je pardonnais plus de choses. mais là, la copine, elle m'a un peu cassé l'histoire et du même coup, cela m"a retiré toute la valeur de cette fameuse étincelle.

la fin n'est pas mal, mais là encore, trop racontée, on n'en finit pas de l'attendre après l'avoir déjà comprise.

Texte qui pour moi devrait être considérablement écourté et mené de façon plus nerveuse. Des traits d'humour auraient été bienvenus; ( n'entrent pas en compte pour moi les blagues de café, comme acquiesce, ce n'est pas pour moi de l'humour, c'est juste une réaction d'un groupe qui se sent conforté d'appartenir justement au groupe)

   PierrickBatello   
5/9/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Une très belle histoire touchante racontée avec talent. Un rythme lent qui prend le temps de poser les choses. L'ambiance du café est très bien rendue je trouve. J'ai juste un doute quant à la nécessité de faire intervenir le catholicisme dans l'aspect mystique du texte. Disons que ça enlève un peu d'universalité au message humaniste.

Bravo. Merci pour ce partage.

   Anonyme   
7/9/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Alexan,

Que d’étoffe dans cette histoire servie par une belle et agréable écriture, pleine de sensibilité, souvent teintée de poésie (le passage de l’arc en ciel, par exemple).

Elle file son train à son allure, comme vont les jours, un après l’autre, chacun apportant son supplément d’âme qui s’ajoute aux précédents. Comme se construit une existence, en se forgeant aux rencontres du destin, avec plus ou moins d’empathie et d’humanité.

Et puis, arrive le jour où Christophe prend subitement conscience de l’existence de Raymond, qu’il croise depuis des lustres sans le voir.

En parallèle sa vie de couple n’est pas folichonne, pour ne pas dire carrément déprimante. Comment peut-on à vingt ans envisager un avenir aussi plan-plan, à un âge ou devrait primer la passion ?

Le lien entre avant et après, c’est la rencontre avec un truculent rédempteur. Raymond, pilier de bar moqué de tous. Cette rencontre qui va donner le coup de fouet nécessaire pour qu’enfin le héros sorte de sa torpeur et prenne sa vie en main.

J’ai compris que la religion n’intervenait ici que pour faire prendre conscience qu’elle n’est pas nécessaire en l’état de religion même, mais plus pour dire que chacun peut puiser l’esprit et la force de la croyance – peu importe quelle croyance - là où il le désire, afin de donner un sens à sa vie.

Je reste curieuse de savoir si dans cette histoire qui finit bien, Christophe devient enfin vraiment amoureux de sa femme ? (oui, j’assume mon côté romantique à tout prix :))

Merci pour cette lecture. C’est ta deuxième nouvelle sur Oniris. La deuxième que j’apprécie, et deux univers totalement différents, comme tu me l’avais annoncé. Bravo !

Au plaisir de lire la suivante.


Cat

   vb   
8/9/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour Alexan,
je n'ai encore une fois qu'un peu aimé votre nouvelle. Je n'ai pas réussi à adhérer au point de vue du narrateur. Je l'ai trouvé d'un ennui parfait. Comme son amie (je déteste le mot "petite amie") d'ailleurs pour laquelle je n'ai pas éprouvé d'empathie. (Oui, comme vous dites un couple "carrément bébête et gnian-gnian".) Le vieux Raymond, lui aussi, je ne l'ai pas trouvé sympathique. Vous ne décrivez pas vraiment ses propos et il m'est donc apparu fort difficile d'accès. J'ai par contre bien aimé la chute qui est bien pensée et elle est la raison pour laquelle je n'ai pas dit que je n'aimais pas.
Il y a quelques détails techniques sur lesquels j'ai trébuché par exemple l'emploi de la ponctuation qui m'a semblé aléatoire ou encore certains "bien entendu" et "bien sûr" qui devraient à mon avis être supprimés. Certaines tournures m'ont semblé lourdes comme par exemple "un bon petit dîner aux saveurs parfumées de notre provence".
À bientôt Alexan,
Vb

   Anonyme   
10/9/2017
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Il faut dire que la qualité de l'écriture sauve ce texte finalement assez niais pour ne pas dire cucul-la-praline mais vous savez réellement écrire c'est une certitude ( pour moi)

Pour le reste, ce texte tourne en rond autour d'un microcosme de beaufs que vous mettez bien en lumière par ailleurs —il faut l'admettre— mais je trouve la fin vraiment niaiseuse au possible ce qui gâche vraiment le travail en amont.

Merci de ce partage

   toc-art   
10/9/2017
Bonjour,

Je n'ai pas apprécié ce texte parce qu'à mon sens il manque cruellement de nuances. Tout est exagéré. Le portrait du narrateur, sa fascination immédiate pour le vieux Raymond, la petite amie totalement effacée, les piliers de bar... Rien ne me paraît correspondre à une réalité tangible. Enfin si, je rectifie, pour les piliers de bar, ça collerait si le jugement du narrateur n'était pas aussi appuyé.

Je m'arrête un instant sur ce narrateur. Il ne connaît pas encore le vieux Raymond qu'il est déjà plein de compassion. Ensuite, quand il découvre qu'il n'a jamais remarqué le vieux auparavant, il est pétri de honte, ne valant pas mieux que ceux qui l'ignorent ou se moquent de lui. Est-ce bien raisonnable ?

La suite est du même acabit. Il lui parle une fois (ah, la philosophie de l'échelle, un grand moment !) et a du mal à se passer de sa présence durant le week-end alors qu'il est avec sa petite amie. Je pense qu'il est mûr pour rentrer dans une secte tant il m'apparait benêt votre narrateur. Franchement, vous poussez le bouchon un peu loin. Moi, c'est pour la petite amie que je commence à avoir de la compassion pour le coup. Ceci dit, elle n'est pas gâtée non plus par le portrait que vous en faites. Neu-neus comme ils apparaissent tous deux, on se demande comment ils font pour avoir une sexualité.

Et c'est long, mais looooonnnng ! Ou alors je suis allergique aux bons sentiments, c'est fort possible, mais quand je vois l'état dans lequel ça met votre héros, je me dis que je m'en sors finalement pas si mal.

Un peu moins scolaire et descriptive, l'écriture pourrait vous ouvrir d'autres perspectives, moins lénifiantes. Je vous le souhaite (et à moi aussi en tant que lecteur).

Bonne continuation.

   Orikrin   
21/9/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un peu rebuté d'abord par les surexplications et la surabondance de détails, je n'ai pas mis longtemps à comprendre que c'était simplement pour mieux plonger le lecteur dans l'intensité de cette nouvelle trop courte pour faire dans la dentelle. Je ne parle que de l'introduction.

Très vite, la beauté des descriptions prend le pas, et j'ai été particulièrement étonné par la fluidité des transitions.
"...Un grand voyage, l’aventure… / — Le Canada… disait-elle, les yeux scintillants."
Ça coule tout seul, ça paraît si simple...

Cet échange entre deux personnes est plein d'empathie, mais il ne se perd pas en tergiversations idéales ; ce sont deux humains, les défauts s'immiscent dans leur relation et c'est à eux de lutter contre.

Bon, je ne suis pas là pour expliquer l'intrigue, mais je me suis particulièrement identifié au personnage de Christophe, vous excuserez donc le ton subjectif et personnel de mon retour : fidèle à ses habitudes, altruiste mais méfiant pour ne pas se laisser embarquer par les besoins d'autrui, athée mais mystique, fortement introspectif et égocentrique... Ce dernier trait, j'en suis venu à l'attendre et je n'ai pas été déçu.

Si personnellement la fin ne recelait aucun mystère pour moi depuis le début de la phase du "rêve", ça ne m'a pas empêché de sentir le sourire qui flottait sur mes lèvres depuis un moment disparaître tout à coup. Et sous couvert de cette réussite dans la transmission des émotions, c'est un peu le retour de la surexplication. On croirait que qu'en tant qu'auteur, vous avez voulu offrir votre version d'une fin idéale, alors que le lecteur aurait pu se la figurer lui-même.

Cela fait un peu retomber le flan. Dommage car le défaut est mineur et aisément corrigible par la pratique.

Je réalise que ma critique est extrêmement négative ; je me suis concentré sur ce que j'ai vu de plus gros, mais mon ressenti reste le même : un très bel échange, éminemment humain, une parfaite allégorie de ce qu'on peut gagner l'un de l'autre.

   Berndtdasbrot   
4/10/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonsoir Alexan

Les personnages de cette longue histoire sont bien dépeints, peut-être pour certains, caricaturaux, mais dans l'ensemble assez attachant. Sauf le narrateur, et c'est là pour ma part que le bat blesse, je n'ai pas réussi à bien le cerner.
Ce qui m'a gêné le plus, très franchement, c'est que à mon sens dans une nouvelle,il faut limiter le nombre de personnages (sauf s'ils ne font que passer) et surtout le nombre de sujets. ici, nous avons l'histoire du vieux qui à raté sa vie, l'histoire du muet et de sa sœur, l'histoire du narrateur et de sa copine et de leurs rêves, l'histoire de la religion de Sabine, l'histoire du patron de bar bien beauf...Je pense que vous abordez trop de sujets et ça vous dessert, parce que l’écriture est bonne, les idées ne manquent pas. A l'arrivée, le partage des émotions est dilué dans trop de texte.
Voilà. Bon, je ne suis pas coutumier de longs commentaires, si j'ai autant mis de point de vue, c'est forcément que je ne suis pas resté neutre face à l'histoire.
A une autre fois
Jean-Luc

   Pistache   
26/11/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Texte dense et profondément humain avec des dialogues comme des barreaux d'échelle pour gagner le ciel et son étincelle de vie. Une atmosphère de film "à la Guéridian" avec des personnages bien typés et au(x) cœur(s) gros comme cela.
La fin est ciselée comme une belle référence à des textes anciens: nous ne sommes pas les premiers sur terre, même si certains apparemment l'oublient de nos jours. Et demain s'inaugure aujourd'hui: voilà le rappel de beau texte un peu long mais qui sonne comme un rappel plus grave qu'il n'y parait. Le ciel et la terre se rejoignent autour de ce vieux Raymond et grâce à lui. Sa fragilité rend son destin encore plus universel.
Merci à l'auteur.


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