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ClaraTessier : Ce genre de plat
 Publié le 10/01/14  -  7 commentaires  -  5196 caractères  -  144 lectures    Autres textes du même auteur

Qu'il s'agisse d'un plat ou non ne dépend que de vous, de ce que vous y mettez, de vos propres ingrédients, de votre état de pensée aussi. Si la littérature nourrit l'âme, ouvrez votre bouche et n'essayez pas de connaître le goût de ce plat-ci, selon vos expériences, vous pourriez bien y rester.


Ce genre de plat


« Remplacer la pensée par la rêverie, c’est confondre un poison avec une nourriture. »


Victor Hugo



C’était un plat que je ne comptais pas cuisiner. Le genre de plat que l’on élabore plus ou moins au hasard et que l’on mange en vitesse. Il m’arrivait fréquemment par manque de temps, ou par désintérêt de me concocter un menu-minute, le matin même ou bien la veille, histoire d’avoir quelque chose à me mettre sous la dent avant d’aller travailler. Il suffisait d’y mettre tous les ingrédients qui traînaient dans une cuisine. On tranchait, découpait, malaxait, mélangeait, hachait puis on laissait le tout bouillir doucement, tout doucement, sans prendre garde à la cuisson pour que naisse ce douteux festin. Une fois sorti du feu, on assaisonnait le tout avec ce qui tombait sous la main. La mixture produite avait un aspect répugnant. Elle aurait fait tourner de l’œil quiconque n’aurait pas été affamé autant que moi. Et j’avais beau critiquer l’image que me renvoyait cette bouillasse, une fois posée sur ma fourchette, je n’hésitais jamais bien longtemps à plonger cette chose dégoulinante dans ma bouche. Je n’avais pas réellement besoin de peiner ma mâchoire, le mélange fondait sur ma langue. Pour m’assurer un sentiment de satiété, je m’acharnais pourtant à mâcher, cela me permettait de garder la nourriture plus longtemps en bouche. Plus je mâchais, plus un arrière-goût d’amertume emplissait mes papilles.

Dans un premier temps, je fis la moue face à ce goût, mais au bout de quelques bouchées, ça me procurait comme une sensation de plaisir. Une expérience similaire à celle de la première cigarette que l’on fume. Je décidai à partir d’une demi-douzaine de bouchées de poser définitivement ma fourchette. Non pas par dégoût ou par saturation. Simplement que je n’aurais pas su m’arrêter si j’en prenais ne serait-ce qu’un peu plus.


Au fil des jours, des mois, ce repas devenait une addiction. Petit déjeuner, déjeuner, souper et tard dans la nuit, il m’arrivait de me relever pour aller piocher dans mon frigo. Lorsque j’eus goûté ma mixture pour la première fois, même le robusta rituel du matin me semblait fade. Qu’importent les ingrédients que j’y mettais, tant que le procédé restait le même, le goût ne changeait que très peu. Et malgré la légère différence qu’apportaient de nouveaux constituants, cela relevait un peu la monotonie de ce plat. Parfois était-il peut-être un peu plus épicé, ou un peu moins âpre. Quoi qu’il en soit, le goût en bouche restait fondamentalement le même et je ne m’en lassais pas.

Parallèlement, au travail, je perdais peu à peu toute efficacité aux tâches qui m’étaient confiées. Généralement, même de bon matin, je regardais l’heure tourner. Je pensais à mon repas qui m’attendait, au chaud, chez moi. J’avais beau essayer de me changer les idées, de ne pas y penser, rien n’y faisait. Cela m’obsédait. J’avais décidé de mettre des choses en place, chercher de nouvelles recettes, me découvrir une passion inconnue, un talent caché, faire des rencontres. Rien. Rien ne me comblait plus que l’idée de savourer une nouvelle fois ce goût unique. Cependant, le secret fut de courte durée. Mon entourage ne tarda pas à sentir l’odeur nauséabonde qui émanait de ma cuisine. Je n’essayai même pas de me justifier, je tentais tant bien que mal à ignorer leurs interrogations. J’avais honte, au point de me gaver avant leur arrivée, qu’ils ne puissent pas voir le contenu de mes Tupperware si jamais ils entraient. De toute façon, on le remarquait vite. La vaisselle sale s’entassait doucement dans le lavabo. Secrètement, certaines personnes menaient leur enquête sur le mal qui me tourmentait sans jamais comprendre réellement. Leur en parler n’était pas une option envisageable et pour rien au monde, je ne leur aurais fait goûter. Ne serait-ce qu’imaginer leurs réactions me révulsait. Ce n’était plus de l’ordre de la confiance ou de l’ouverture d’esprit, la foi que j’avais envers mes proches était bien réelle, mais par sécurité ; non pas la mienne, mais la leur. La nuance entre la pudeur et la honte est considérable, et j’avais conscience de la dimension malsaine dans laquelle je m’étais engouffrée. Il était hors de question de les laisser y pénétrer. Peu à peu, on me rendait de moins en moins visite, et je continuais de me consoler par la source de mes soucis. Ce mets putride. Une fois en bouche impossible de se passer du goût, de ce mouvement langoureux, de cet acte.


S’abandonner à un plat, non pas à la cuisine, ou à un ingrédient en particulier, mais à un plat, non pas à la nourriture, ou à un goût mais à un plat. C’était un geste, une habitude. J’avais coutume de me nourrir, non pas pour le plaisir, ni même pour vivre désormais, mais pour ce plat. Ce n’était même plus un devoir, ni une envie soudaine, mais machinalement, je me ravitaillais.


Le temps s’était estompé, depuis la première pincée de sel dans un bol, la première épice, la première cuisson, la première bouchée. Plus personne ne se posait désormais de questions à mon sujet. Le poste que j’occupais avait été confié à quelqu’un d’autre et le seul contact que je conservais avec l’extérieur était un rendez-vous mensuel au Pôle Emploi.


 
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   Anonyme   
25/12/2013
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L'originalité de ce texte, je trouve, c'est que la narratrice ne peut plus se passer d'un élément qui ne lui apporte pas vraiment de plaisir, qui, est, elle s'en rend compte objectivement, répugnant. Et il ne s'agit pas non plus de quelque chose qu'elle élabore avec beaucoup d'efforts (elle pourrait être accro à l'idée de se donner beaucoup de mal pour ce plat) : la toxicomanie est "pure", tout à fait arbitraire.

De ce point de vue, j'ai trouvé intéressante la descente aux enfers de la narratrice, bien que la trajectoire soit trop attendue à mon goût : désocialisation, perte du travail, isolement. Par ailleurs, j'ai l'impression que le texte ne se termine pas vraiment ; pour moi, la situation où se trouve la narratrice à la fin ne constitue pas une conclusion, elle ne va pas pouvoir rester indéfiniment sans ressources pour se préparer son plat, si ? Je ne sais pas si cette manière de ne pas conclure est volontaire de votre part, ou si vous n'avez su comment terminer, en tout cas comme lectrice j'ai eu une impression d'inabouti.

   Pascal31   
10/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Un récit qui aurait presque sa place dans la catégorie "horreur/épouvante", tant la chute de l'héroïne semble irrémédiable et cruelle : ne plus vivre que pour ingurgiter un plat.
C'est correctement écrit, même si certaines phrases me semblent un chouïa - et inutilement - alambiquées, et ça se lit d'une traite. La descente aux enfers du personnage est décortiquée sans que l'on sache ce qui l'a provoquée. J'aime assez ce côté mystérieux. Cependant, à l'instar de Socque, je n'ai pas vraiment apprécié la fin, bien trop lapidaire et qui laisse le lecteur sur sa faim : un comble face à ce genre d'histoire !

   Anonyme   
10/1/2014
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour, Clara,

Ça m'a fait plaisir de voir publié un de vos textes. Je me suis jetée dessus avec curiosité, curiosité attisée par la catégorie.
Première remarque : je n'ai rien compris à l'incipit. Il y a un problème de logique selon moi dans la deuxième phrase. Je me perds en conjectures. Vouliez-vous écrire : "Peut-être la littérature est-elle une nourriture de l'âme, mais n'essayez pas d'en connaître le goût, vous pourriez bien y rester" ?

Ensuite, j'ai relevé de trop nombreuses approximations syntaxiques qui m'ont pourri ma lecture. Et je pèse mes mots. J'en ai relevé quelques-unes :

Premier paragraphe :
- " Il m’arrivait fréquemment par manque de temps, ou par désintérêt de me concocter un menu-minute" : la virgule avant "ou" n'est pas nécessaire. Si vous la mettez, il faut en mettre une autre derrière "désintérêt".
-pourquoi le "on", alors que vous avez précisé avant qu'il s'agit de vous ("je" est donc attendu) ?
- "peiner ma mâchoire" : dans l'emploi transitif, "peiner" signifie faire de la peine, or l'usage que vous en faites suggère plutôt le sens "éprouver des difficultés" (emploi intransitif).
- "Pour m’assurer un sentiment de satiété, je m’acharnais pourtant à mâcher, cela me permettait de garder la nourriture plus longtemps en bouche" : non ? vraiment ? Evitez d'écrire des choses qui vont de soi, ou tournez-les de sorte que cela ne ressemble pas à un mode d'emploi.

Deuxième paragraphe :
-"je fis la moue face à ce goût" : face au goût ? Vous êtes alors synesthète, pour associer à un goût une image...
- "ça me procurait" : ça me procura
- "Simplement que je n’aurais pas su m’arrêter si j’en prenais ne serait-ce qu’un peu plus. " : phrase très, très lourde. "Simplement que" est fautif.

Troisième paragraphe : parmi d'autres phrases mal tricotées, et ce notamment à cause de la concordance des temps :
- "Lorsque j’eus goûté ma mixture pour la première fois, même le robusta rituel du matin me semblait fade" : sembler doit être au passé simple.
- " je tentais tant bien que mal à ignorer leurs interrogations." : je tentais de !
- "J’avais honte, au point de me gaver avant leur arrivée, qu’ils ne puissent pas voir le contenu de mes Tupperware si jamais ils entraient" : vous écrivez, me semble-t-il. Utilisez les connecteurs comme il se doit : afin qu'ils. Et puis d'abord, c'est qui "ils" ? Vous avez parlé de votre entourage. On comprend que "ils" sont les personnes de votre entourage. Pourquoi pas "elles" ? Les pronoms sont supposés faire référence à quelque chose de précis, ce qui n'est pas le cas ici.
- "Ce n’était plus de l’ordre de la confiance ou de l’ouverture d’esprit, la foi que j’avais envers mes proches était bien réelle, mais par sécurité ; non pas la mienne, mais la leur" : ici également, il y a un problème de référence, de logique. On comprend, mais tout juste, et tout est très mal dit.

Je fais partie des commentateurs dont la lecture est ralentie par les fautes d'orthographe (ce qui n'est pas le cas ici), les phrases bancales, les coréférences imprécises, les malmenages de la logique. Je suis absolument incapable d'apprécier un texte mal ficelé dans sa forme. Je préfèrerais des phrases simples peut-être, mais au service de l'histoire.
A ce sujet, si je fais un effort pour m'attacher au fond, je remarque une idée intéressante, mais insuffisamment développée. Et si je me réfère à votre incipit, j'ai beaucoup de mal à comprendre le lien entre la littérature et "un mets putride".

C'est donc pour moi un texte inachevé, sur le fond comme la forme.

   ikran   
10/1/2014
Commentaire modéré

   MariCe   
10/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai trouvé votre histoire très bien construite, bien écrite. Le processus de l'addiction est parfaitement analysé.
En revanche, être addict à un mets "putride" me rend pour le moins perplexe.

   senglar   
12/1/2014
Commentaire modéré

   senglar   
12/1/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour ClaraTessier,


Du mou, du mou et encore du mou... Bref votre héroïne mange comme les Américains quoi ! Qu'elle y ajoute du vin rouge cela lui donnera l'illusion du mou de veau. Qu'elle se mette encore au moût, l'ivresse n'en sera que renforcée :)))

ça m'a aussi fait penser à Amélie Nothomb qui cultive son pourrissoir, avide de fruits en décomposition, plus goûteux les uns que les autres. Nourriture magique, son succès ne se dément pas plus que son talent.

Ah ! S'il suffisait de laper du caca pour devenir célèbre ! C'est tout le mal que je lui souhaite :)
Ben... Bonne chance à elle donc, sa langue est bien huilée, son écriture aisée.

Pour ce qui est de vous ClaraTessier : Attention à la distinction entre "savoir" et "pouvoir", et "... je tentais tant bien mal D'ignorer...", d'où le (-). lol

Brabant

   ikran   
13/1/2014
Bonjour Claratessier,

votre héroïne trouve-t-elle son bonheur dans ce qui n'est pas conventionnel où le perd-t-elle dans ce qui est immonde ?

Pour moi, ce plat est un paradoxe.

Pour la note, choisissez celle que vous voulez. Pour moi un texte peut-être exceptionnel sur un mot et exceptionnellement nul sur un autre, alors à ce compte là ...

   Asrya   
26/8/2014
 a aimé ce texte 
Un peu
L'addiction à un plat putride, quelle bonne idée !
Cela m'a vraiment plu !
J'ai trouvé cela très intéressant comme démarche.

Toutefois, je reste un peu septique sur le goût uniforme de ce plat, quelque soit les aliments utilisés. J'avoue ne jamais avoir essayé la chose, mais il me semble peu probable que cela arrive...
A moins que votre personnage souffre d'une pathologie menant à la perte de la différenciation gustative, je ne vois vraiment pas comment ce "plat" peut naître !
Bon, c'est un récit, alors passons !.

Le reste de la nouvelle s'ancre sur l'addiction et la déperdition dans la société ; rien de bien original.
Cela reste écrit convenablement, rien ne m'a spécialement marqué, dans le mauvais comme dans le sublime,

Bref, je reste perplexe en ce qui concerne le contenu de votre oeuvre,

J'applaudis néanmoins l'idée,

Merci pour votre écrit,

Au plaisir de vous lire à nouveau,

Asrya.


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