Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Réalisme/Historique
hersen : Évolution
 Publié le 31/01/20  -  13 commentaires  -  6266 caractères  -  81 lectures    Autres textes du même auteur

J'ai naturellement pris une très grande liberté pour parler d'une époque dont on ne sait à peu près rien, le Néolithique.

https://www.aht.li/3455202/Scan_Doc0001_page-00012.jpg


Évolution


Hyad jeta un coup d'œil sur le liquide où surnageaient des mouches. Avec ses gros doigts couverts de saleté, il les retira avant de boire cette eau provenant du lait en cours de caillage.


Chaque matin, le berger devenait fromager et surveillait sa production, buvant ce liquide clairet. Il devait surveiller attentivement l'abri de fortune où il stockait ce lait transformé, un dôme en torchis recouvert de branchages, à cause des prédateurs, hommes ou bêtes.


Les chèvres étaient le bien de la communauté, mais on laissait à Hyad le soin de transformer ce lait excédentaire. Il avait installé des pierres plates, avait façonné des bols et des jarres en terre cuite. La tribu vivait sur un territoire assez grand pour tous, même si certains membres quelquefois partaient plus loin quand la cueillette dans la région ne réussissait plus qu'avec peine à nourrir tout le monde. Mais le berger aimait rester aux alentours de ses pots et confiait de temps à autre le troupeau à ses compagnons pour pouvoir se consacrer au lait.


Il trayait le troupeau le soir, rassemblant ce liquide si nutritif dans les plus grandes de ses poteries bancales qu'il coinçait avec des cailloux sur le sol de sa cabane. À boire régulièrement le petit lait, il avait appris à en distinguer le goût différent en fonction de la température et du nombre de jours. Il finissait par lui-même prendre l'odeur aigrelette de ce caillé.

Il vivait par le lait des chèvres.


Hyad était têtu. Derrière son front ténébreux, les idées se bousculaient. Même si elles mettaient longtemps à affleurer, elles étaient tapies et certaines surgissaient quand une préoccupation prenait plus d'importance qu'une autre, sans qu'il y ait de raison précise. Depuis quelques jours, c'était ce lactosérum dans lequel se noyaient les bestioles volantes qui interpellait ses facultés. Non que ces insectes fussent gênants, il y avait les mêmes sur la viande, crue ou cuite. Mais il avait remarqué que le goût s'altérait, que se développait un rance peu raffiné et justement, Hyad cherchait à faire le meilleur produit. Par curiosité, par inventivité, par créativité. Et aussi pour faire un fromage qui vaudrait plus quand il s'agirait de l'échanger contre des objets qu'il ne savait réaliser, trop occupé avec sa passion. Il ne tissait ni ne fabriquait d'objets coupants, par exemple. Berger-fromager-potier, telles étaient ses fonctions.


Après avoir tant observé le lait dans les jarres à différents stades, l'illumination lui vint : il sut que le lait n'avait aucun problème, la chèvre l'élaborait comme elle savait le faire et rien n'y pourrait changer.


Mais le récipient ?


Il observa qu'une jarre fendue laissait s'écouler l'eau. Il eut, dans un premier temps, le réflexe de couvrir de liquide ce bloc de fromage en formation pour qu'il ne sèche pas. Mais une fulgurance le retint : non, laissons faire, se dit-il, prêt à sacrifier quelques litres de lait pourtant bien utiles à la communauté.


Au bout de quelques jours, le fromage avait séché et changé de couleur. Il était aussi devenu trop dur pour pouvoir être extrait par le col trop étroit ; Hyad dut taillader dans cette substance pour en sortir des morceaux… et les manger.


Ompff, il n'avait jamais rien mangé d'aussi bon ! Il appela ses compagnons, tous goûtèrent et se battirent pour en avoir plus et… cassèrent la cruche, qui livra ainsi tout son contenu.


Hyad observait la scène. Un pot représentait beaucoup de travail. Il venait d'en perdre un par l'insouciance de ses pairs.


Oui, mais l'idée venait de naître, plus précieuse que cette jarre fendue qu'il aurait pu réparer.


Il se mit au travail, alla chercher son argile, au meilleur endroit, fit un prototype qu'il cuisit dans un trou de dimension modeste creusé dans le sol. C'était seulement un essai. Avant d'en faire plus, il fallait être certain que l'idée fut bonne. Il surveilla consciencieusement. Le séchage, la cuisson. Quand le moment vint d'écarter les cendres tièdes recouvrant l'objet, Hyad fut inflexible : tous devaient se reculer de la longueur de deux hommes couchés, sinon, il ne procéderait pas à l'exhumation de la pièce cuite. À contrecœur, maugréant et se poussant les uns les autres pour former le cercle exigé par le potier, la bande de curieux finit par accéder à ses désirs.


Dans un silence total troublé seulement par le vent et les chants d'oiseaux, Hyad écarta les vestiges de feu à l'aide de branchettes rassemblées en plumeau, dont les jeunes feuilles étaient si douces. Cela prit un temps infini car les mouvements du potier étaient lents, précautionneux. Les spectateurs commençaient à s'impatienter lorsque, enfin, l'artisan déposa sur le sol, préalablement aplani et propre, un petit pot. Comme une sorte de timbale, mais percée d'une multitude de trous. Hyad ensuite n'y toucha plus, admirant son œuvre. Il écarta d'un cri des curieux qui déjà tendaient les mains.


Quand la poterie fut froide, il la prit et entra dans sa cabane, interdisant l'entrée à quiconque. Puis, avec des gestes mesurés, versa dedans du lait caillé. Il la posa sur une pierre et observa. Le serum coulait doucement, le lait se tassait. Il dormit auprès de son invention.


Au bout de quelques jours, un petit fromage gisait au fond du pot, un petit fromage délicieux dont le goût aigre habituel avait disparu et était remplacé par un fondant en bouche inégalé jusque-là.


**


– Jorge, j'ai un truc, là, qui se continue sous les cailloux.

– Fais voir ! Où ça ?

– Là, regarde ; passe-moi la petite brosse.

– Oh oui, ça c'est sûr, c'est une poterie !


Après des heures de brossage méticuleux, Jorge et Rui avaient extrait l'objet, une poterie à la paroi inégale, parsemée de trous irréguliers.


– Bon sang, on a une faisselle, presque entière !



______________________________________

Note : Des recherches archéologiques dans la région de Loulé, en Algarve, ont mis au jour un nombre très important d'objets, surtout des poteries, de différentes époques, depuis le Néolithique.

Cette faisselle est visible au musée municipal de Loulé, après que cette exposition fut présentée à Lisbonne, parmi d'autres vestiges.

Cette région d'arrière-pays est encore de nos jours une terre de pacage et de poterie.



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   cherbiacuespe   
6/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Comme le disent les historiens, le troc n'a jamais existé, sauf à s'échanger des trucs inutiles entre tribus qui se croisaient et n'avaient aucune chance de se croiser de nouveau. De plus, la tribu partageait tout, chacun avait sa fonction, alors pourquoi troquer au sein même de la tribu (comme c'est d'ailleurs suggéré dans le texte)?

Malgré cela, bonne petite histoire sur l'évolution. Il y a fort à parier que ces évolutions prirent plus de temps, mais pourquoi pas, les hommes de l'époque étaient sans doute capables d'autant de fulgurances que nous aujourd'hui (et sans autre ordi que leur cerveau). Tout se tient dans cette mini nouvelle, bien racontée. La fin, bien que prévisible n'est pas superflue, au contraire.

Cherbi Acuespè
En EL

   Corto   
6/1/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
D'emblée j'ai envie de dire 'bravo' pour l'originalité.
Comme le commun des mortels j'ai du mal à me figurer le mode de vie durant la période néolithique. Mais ici l'auteur nous emmène dans ce monde si lointain avec une aventure plaisante.

Hyad le "Berger-fromager-potier" fait plaisir à voir car il a toujours une idée en tête, il expérimente, il s'impose aux autres et il réussit à inventer...la faisselle.

Je laisse à l'auteur son affirmation que "Les chèvres étaient le bien de la communauté". Mais comme dit dans l'exergue on a droit à "une très grande liberté" pour parler de cette époque.

Cette lecture est bien agréable.

Merci à l'auteur.

   Tiramisu   
7/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Oui certainement, on peut s'imaginer que de nombreuses découvertes ont été faites ainsi fortuitement.
Je ne suis pas certaine que nos ancêtres du néolithique se sont exclamés "on a une faisselle" découvrant l'objet et le nom en même temps...

Ce qui est bien rendu, je trouve, c'est le goût du personnage principal pour le lait, pour ses chèvres, pour la passion de faire de bonnes choses. C'est bien en l'humain tout ça, même si nos contemporains ont perdu un peu de vue tout ça avec la société de consommation.

La curiosité aussi qui nous anime au fond de nous de découvrir de nouvelles choses, l'éblouissement qui en résulte sont bien rendus.

Merci pour cette lecture

   plumette   
9/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Partir d'un bout d'objet pour reconstruire son origine et son utilité est une très bonne idée, bien exploitée ici, avec un récit vivant qui a bien raison de se moquer de vraisemblance.

" Et le fromage de chèvre fût" pourrait être le titre de cette nouvelle créative à double titre.

La création d'Hyad, due à son observation , son pragmatisme et un peu de hasard et la création de l'auteur qui a transporté son imaginaire dans le passé.

une écriture claire et fluide.

Mon petit bémol: comment Hyad peut-il nommer " fromage " ce qu'il cherche à faire? Car si j'ai bien compris le récit, c'est une première? Avant, il n'y avait que du lait caillé, plus ou moins épais?

Au final, un agréable moment de lecture.

   thierry   
31/1/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Ah ! Comment a-t-on pu passer du Néolithique à Instagram ? On parle bien de révolution du Néolithique comme de celle du numérique, mais enfin le fromage de chèvre, c'est quand même autre chose qu'une video de chat...
Nouvelle très simple qui tend à expliquer autant qu'à décrire, pourquoi pas...
Plusieurs allers-retours avec le présent auraient pu donner un peu de relief, mais la qualité du vocabulaire, le style et le rythme sont là.
Un chapitre 2 pour le vin ?

   Anonyme   
1/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un produit... pas de quoi en faire tout un fromage...

En fait, si, et ce, avant l'ère de la consommation. Une Évolution, aucun doute là dessus. Et déjà, en plein néolithique, des consommateurs, une demande...
Et un potier, tout à son art - car à cette époque, pour nous, pauvres modernes, il s'agit d'art (préhistorique) - après la vaisselle, invente la faisselle !

C'est inventif, bien écrit, ça se lit d'une traite... bravo !

Edit : "lactosérum"... trop moderne pour l'époque, du moins dans la tête du personnage... le champ lexical est trop évolué pour bien retranscrire le néolithique...

   Raoul   
1/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Pas facile d'écrire sur un temps où le mot n'existait probablement pas. Comment nommer alors... L'auteur se tire bien de cette gageure par sa vision d'observateur qu'il tient par l'imparfait. Bien vu les échanges, le partage plutôt que le troc. Le seul terme qui m'a fait "tiquer" c'est "produit" à la fois trop imprécis et trop connoté. En lisant j'ai cru avoir retrouvé une encyclopédie sur la vie des hommes préhistoriques de mon enfance (où donc et dans quette strate peut elle être d'ailleurs...)
La vision des deus archéologue cresouillant avec des outils finalement sommaires est bien trouvé et provoque une fin assez ironique.
Un plaisir de lecture.

   maria   
1/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Hersen,

Je sais ce qui s'est passé dans ce musée !
Tu t'es arrêtée devant la poterie, tu voulais continuer la visite, mais elle t'a retenue. Attends, j'ai quelque chose à te raconter ; t'a t-elle murmuré. Tu es restée, tu l'as écoutée et tu nous a joliment écrit son histoire.
T'a t-elle dit si peu sur Hyad ou nous l'as-tu caché ?

   Luz   
1/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour hersen,

Très bonne idée d'écrire sur la préhistoire.
Difficile de savoir quelle était exactement la vie de l'humanité à cette époque, mais je ne peux m’empêcher de trouver cette nouvelle comme étant sans doute "réaliste".
J'ai lu, il y a bien longtemps, un livre sur la préhistoire ; une fiction écrite par Pierre Pelot "Sous le vent du monde" sous le contrôle d'Yves Coppens, et j'avais beaucoup aimé également.

Bravo !

Luz

   papipoete   
1/2/2020
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour hersen
On mange du fromage comme s'il avait toujours existé, sans doute créé par Dieu et posé sous un pommier... Eh bien non ! ce sont nos lointains ancêtres, curieux, patients et inventifs qui mirent au jour le crottin de chèvre ! Et par la même occasion, sans calculs algébriques, conçurent le moule qui trônerait près de la chèvrerie, la faisselle !
NB outre l'imagination de l'auteure, ( on jurerait qu'elle vécut au néolithique ou bien sa descendance transmit ce savoir jusqu'à maintenant... ) le récit est amusant, et l'on voudrait s'approcher des cendres fumantes, pour voir...

   hersen   
1/2/2020

   plumedeplomb   
7/2/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
encore une fois, une superbe histoire. Vous ne vous cantonnez pas à une thématique : futuriste, contemporain, historique et... préhistorique. Toujours avec votre style très raffiné. J'appréhendais d'ailleurs le contraste entre l"élégance de votre plume et la rusticité des actions d'un néandertalien, mais le résultat est bluffant. Peut -être grâce à la fin, qui nous rappelle que le narrateur est contemporain. Le retour à notre époque permet également de faire une superbe chute.
Je comprends que vous affectionnez particulièrement le format nouvelle, vous le maîtrisez parfaitement.

   Cristale   
8/2/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ompff ! Jamais plus je ne regarderai ces pots de grès perforés trouvés dans la remise de mon arrière-grand-mère, qui servent de lit à mes cactées, de la même façon. Certes, je connaissais leur fonction mais j'avoue que ton récit me fait les apprécier à leur juste valeur.

On s'y croirait ! L'ambiance est bien rendue, les sens papillonnent : du crépitement du feu de bois, de l'odeur de la fumée, de la terre en cuisson, du lait de chèvre, le goût aigre du caillé, jusqu'au délice du fromage, l'agilité des mains du potier qui façonne ses pots, on entend même les exclamations de la tribu, tout est sensations dans cette scène de vie anodine et pourtant...

Observation, réflexion, imagination et création sont ici bien représentées, au fond, rien n'a vraiment changé.
Les scientifiques disent qu'un petit néandertalien venu du passé sur les bancs de nos écoles aurait les mêmes capacités d'apprentissage que les enfants du XXI siècle...alors...Oup's (évolution de l'interjection Ompff importée du néolithique par hersen) je m'égares.

J'aime bien l'épilogue du récit qui se "referme sur cette fenêtre ouverte" qu'est la découverte archéologique.

Merci hersen.


Cristale

Edit : je viens d'ouvrir le lien où l'on découvre la photo émouvante en adéquation avec la dernière phrase : "– Bon sang, on a une faisselle, presque entière !" Superbe !


Oniris Copyright © 2007-2023