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Brèves littéraires
Laz : Virginia
 Publié le 17/05/25  -  7 commentaires  -  3979 caractères  -  46 lectures    Autres textes du même auteur

Six stations de métro. Une rencontre imprévisible. Un objet d'amour qui surgit du passé.


Virginia


Vendredi, dans le métro, je me suis assis en pensant à mes six stations et j’ai regardé les genoux de la dame assise en face de moi. Puis mes yeux sont montés vers son visage. La peur n’a fait qu’un tour dans mon sang subjugué. Virginia Woolf. Aussi belle que ça. En face de moi. J’ai réalisé que je la fixais comme ça ne se fait pas alors j’ai tourné la tête vers la vitre. Ce fut pire encore. J’y voyais son reflet qui, maintenant, me regardait.


Cela ne pouvait pas se produire. Cela ne devait pas se produire.


Virginia Woolf était là et elle me regardait. De l’autre côté, à gauche de la rame, deux adolescents discutaient. L’un dit : « Hier soir, je voulais voir Qui a peur de Virginia Woolf ? mais j’étais trop défonce, je me suis couché hyper tôt. »


Bien, la vie était en train de se foutre de moi. Virginia Woolf ouvrit son sac à main et en sortit un petit livre que je reconnus tout de suite. C’était un recueil de textes courts que j’ai publié à compte d’auteur il y a trois ans. Elle l’ouvrit et, au lieu de lire, fixa mes genoux. Puis elle fit : "I like the text about death and the evident joke it can only be. Peculiar. And so real." Je traduis : « J’aime bien le texte sur la mort qui ne peut qu’être une plaisanterie. Particulier. Et très vrai. »


Elle ajouta : "I, too, write." (« J’écris, moi aussi. »)


Dans ce "I, too, write", hormis le décalage inattendu du propos dans le contexte, il y eut une sonorité d’une beauté à la fois farouche et admirablement domptée qui ne laissa aucun doute possible : j’étais en présence de Virginia Woolf, et de personne d’autre.


Revoyant mon livre dans ses mains, j’entendis le sou tomber dans la tirelire. Elle lit le français. J’osai lui demander :


– Êtes-vous de passage à Lyon ou y séjournez-vous ?

– Je ne fais que passer. J’avais un ami à voir mercredi mais il ne se manifeste toujours pas, je ne sais que faire.

– À votre place, je lui laisserais un message et continuerais mon chemin.

– Oui, c’est un peu ce que j’avais l’intention de faire.

– Après tout, votre ami…

– Gaudeaux.

– Il peut attendre autant que vous. Et si ce n’est pas indiscret, vous cheminez vers… ?

– Sète. On peut y voir, paraît-il, un charmant port de pêche et de plaisance en se promenant jusqu’au phare. Connaissez-vous ?

– J’y suis né et y ai vu mourir quelques proches. Je me suis habitué à l’idée qu’il est facile d’y mourir, alors je voudrais que mes cendres soient dispersées depuis un petit bateau au large de Sète.

– La mort, toujours…

– Oui, toujours. Mais parlez-moi de vous, madame Woolf.

– Vous parler de moi… Une fois passé le désagrément de la noyade, j’ai pu observer de plus près ce que l’on nomme, le plus souvent par abus de langage, vie. Et parmi les mille choses que l’on peut en faire, écrire est la pire de toutes. Mais je ne savais et ne sais rien faire d’autre. Et même si vos textes sont d’un intérêt certain, je me permets de vous encourager à vous tourner vers la musique. L’absolu.


Le métro s’était arrêté, nous étions au terminus.


– Je crois qu’il nous faut descendre ici, me dit-elle avec une incertitude dans la voix et dans les yeux.

– Oui, je crois aussi.


Nous sommes descendus là et avons emprunté les escalators vers la surface de la ville.


– Je dois vous laisser et retrouver la chambre que j’ai louée.

– Très bien, Virginia, très bien. Adieu, donc, et bon voyage à Sète.

– Adieu, Thierry, et à vous aussi, bon voyage !


Elle disparut sans se retourner et, me retournant moi-même vers ce qui me semblait être ma direction, j’eus la surprise de ne rien reconnaître des lieux. La chaussée était fatiguée, les immeubles dataient d’un siècle, les enseignes sentaient les années 40 et les trottoirs grouillaient de gens fagotés à la manière de la deuxième guerre. Quelque chose devant mes yeux scintillait, un million d’étoiles minuscules et vivantes accrochées à du rien, et j’entendis en moi résonner les derniers mots de Virginia Woolf :


« Bon voyage ! »


 
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   Gouelan   
5/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Une rencontre surprenante avec la dépressive Virginia Woolf. Cela m'a fait penser que j'aimerais bien lire son roman "Les vagues".
La mélancolie et le mystère se dégagent des dialogues. On s'imagine facilement assis dans ce métro.

"– Gaudeaux.

– Il peut attendre autant que vous." - Godot ? Petit clin d'oeil à Samuel Beckett ?

Merci pour cette évasion.

   Salima   
7/5/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Place au merveilleux... Je dis merveilleux, et non fantastique (malgré la peur ressentie au début), à cause de la charge positive qui s'amplifie au fil du texte.
Une critique : le mélange passé composé du début et passé simple de la suite est peu conséquent. Cette remarque ne m'empêche pas d'avoir une appréciation haute de l'ensemble.
Le narrateur est absolument touchant. Sans s'autodécrire véritablement, son caractère paraît à travers ses réactions. Il se montre à la fois très humble et réservé dans la phase d'approche, puis ensuite très charmant (dans sa connotation positive) et homme de conversation et de retenue.
Je suis sous le charme de ce dialogue, qui commence avec la distance requise entre des inconnus et se termine dans l'intimité des prénoms.

L'Auteur travaille avec des répétitions et des parallélismes (par ex : "Cela ne pouvait pas se produire. Cela ne devait pas se produire.", "Elle disparut sans se retourner et, me retournant moi-même").
"Sang subjugué", jolie hypallage.
Comment nommer le procédé à l'œuvre dans : "Aussi belle que ça." ? Tout réside dans le "ça", qui désigne à la fois l'image de V. telle qu'elle est généralement connue, son beau profil au nez et au menton marqués et marquant un caractère fort et sensible. Et aussi ce que le narrateur a pu cristalliser d'adoration platonique (objet d'amour). Le "ça" est grammaticalement un démonstratif, mais dans le texte, rien qui n'indique cette beauté. Le ça renvoie donc à une information hors texte, à la fois vérité générale et rapport personnel entre narrateur et V. Je ne pense pas qu'il y ait un nom pour ce procédé.

La chute est une promesse d'aventure, de voyage dans ke temps et la littérature. "Étoiles accrochées à du rien", est une formule curieuse. Le rêve et le voyage ne seraient rien ? C'est d'ailleurs ce que semble dire V. : la vie comme abus de langage pour désigner les activités quotidiennes, ce qui signifie que les gens se leurrent en pensant vivre, la littérature serait le pire des leurres et très relative. Ce sont des réflexions profondes et étranges, ayant pour medium... un texte littéraire, car ce texte ne manque pas de qualités littéraires.
Une œuvre à l'apparence simple, au langage accessible, cachant des profondeurs et des interrogations complexes sur le sens de la vie et sur l'écriture.

   Ornicar   
12/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Tout est improbable dans ce texte.
La rencontre avec Virginia Woolf dans une rame de métro, les étranges coïncidences : la discussion des ados tournant "comme par hasard" sur le doc de la veille consacré, "comme par hasard", à ... V W ; le livre que l'écrivaine tient entre ses mains et dont l'auteur n'est autre que, "comme par hasard", son vis-à-vis. La fin de l'histoire, avec cette sensation d'embarquer en compagnie du narrateur, dans une machine à remonter le temps est tout aussi improbable. Comme si tout le récit n'était qu'un trompe-l'oeil, un jeu de miroirs, de leurres et de dupes au premier rang desquels se trouve le lecteur, bien sûr. Un jeu à l'image de la scène d'ouverture ("J’ai réalisé que je la fixais comme ça ne se fait pas alors j’ai tourné la tête vers la vitre. Ce fut pire encore. J’y voyais son reflet qui, maintenant, me regardait"). A l'image aussi de la scène au théâtre, haut lieu de la représentation au moyen des masques que portent les acteurs : l'ami de la romancière qui se fait attendre ne s'appelle-t-il pas Gaudeaux ? Encore une étrange coïncidence...

On peut trouver le procédé et ces jeux du hasard, artificiels. Personnellement, je trouve que ça passe plutôt bien ici, dans le format court d'une "brève".
Simple remarque. N 'y a-t-il pas un petit problème de concordance des temps à cet endroit : "C’était un recueil de textes courts que j’ai publié". Que "j'avais publié", non ?

   papipoete   
17/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour p'tite nouvelle
Je ne connais rien à l'art de la Nouvelle, mais rajouter mes lignes sous votre texte, ne peut qu'étoffer un peu plus le plaisir d'être lue ?
En face de moi, dans notre siècle, m'apparait...non, ce n'est pas possible ? Virginia Woolf !
Oserais-je lui parler ? je verrai bien si je rêve ou pas ?
Et à bâtons rompus, nous voici replongés dans son époque, et la folie qui s'emparant d'elle, lui donnera le courage d'en finir avec la vie...
- je vais à Sête, un joli port où j'aimerais qu'on y jeta mes cendres
NB prémonitoire destination, dans ce flashback où le chemin de vie de la romancière, se terminera dans un suicide par noyade. ( on ne pouvait à l'époque, aller ni en Suisse ni en Belgique )
je pense que l'on a tous, croisé le regard ( la première strophe s'y appuie ) d'un ange, d'un démon, d'une idole " pour de faux "
j'ai bien aimé vous suivre !

   BlaseSaintLuc   
22/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Rêver de Virginia Wolf, comme si lire ses livres ne suffisait pas, quel drôle d'endroit pour une rencontre, et puis un Godot peut en cacher un autre, comme c'est étrange, n'est ce pas docteur ?

Aux heures de pointe, il n'y aurait donc pas que Zazie dans le métro ! l'illusion plutôt que la désillusion ?
Au bord du chaos, se mettre à rêver de VW dans un tunnel, il y a de la place pour une thérapie de groupe, invitons Georges et Martha pour un brunch, mais je m'égare, Virginia avait raison, pourquoi pas ...La musique ?

   Laz   
24/5/2025

   Perle-Hingaud   
28/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J'ai bien aimé cette nouvelle. Bien écrite, ce qui est d'autant plus agréable. Bon, reconnaître le visage de VW dans le métro, ça commence fort. Son portrait n'est pas affiché dans mon salon. C'est toujours futé de renvoyer le lecteur à un auteur fort, ça construit immédiatement une ambiance, un imaginaire. ... C'est aussi risqué pour ceux qui n'aiment pas ou ne connaissent pas. Mais ici, la connivence a fonctionné et j'ai apprécié le dialogue. La chute ajoute un vrai plus, une nouvelle perspective de genre. La longueur est bien adaptée au contenu. Merci !


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