Sur le sol de béton ciré orange s’étalait un arc-en-ciel. Des rouges, des verts, des bleus, des jaunes, des violets, des roses… Quelques rares carrés, beaucoup de rectangles. Plus ou moins épais. Avec un peu d’efforts Hugo pouvait lire, parfois de biais ou à l’envers, « La vérité sur la lumière », « Le cœur cousu », « Le Palais des Orties », « L’empreinte de l’ange », « Kukum », « L’Art de la joie » et beaucoup d’autres.

« Ce n’est pas ma faute », se défendit Hugo, d’une voix chantante, l’œil pétillant et le sourire en coin. La vendeuse éclata de rire. Ses larges lunettes rondes en frémirent. Ses cheveux châtains mi-courts se soulevèrent faiblement, ondulant comme si un léger souffle de vent s’était invité dans cette librairie du centre-ville ; très fréquentée comme d’habitude.

Les deux, maintenant face à face, se sentaient seuls.

« Vous avez manqué de réflexe ! » s’exclama-t-elle en éclatant de rire pour la deuxième fois, le regard brillant.

« On pourrait recommencer ! » proposa-t-il en tendant le bras droit, comme pour rattraper un écroulement. Et elle rit de nouveau.

En pensant qu’elle avait quand même poussé trop fort la table qui supportait la pile de livres à répartir dans les rayons. « Et d’abord elle était trop haute cette pile ; ce n’est pas moi qui l’ai installée, c’est sûrement Jocelyne ou alors Martin, le stagiaire. Il devrait y avoir des stages de formation de piles… »

Les taches de couleurs, Nancy Huston, Toni Morrison, John Irving, Goliarda Sapienza, Michel Jean, Audur Ava Olafsdottir… vibraient sous le soleil de cette magnifique fin d’après-midi pénétrant par la large baie vitrée ; ondes de vie ; messages d’humanisme ; pétillements d’intelligence.

Hugo maintenant piégé, figé, avait l’impression d’un chemin pavé de trésors menant vers l’immortalité et s’étendant jusqu’à l’infini.

Des clients faisaient pragmatiquement et prudemment un petit détour.

« C’est sûr qu’il faudrait vite ramasser. Cela fait désordre. Et ne pas être si brutal avec la table ; sans compter la hauteur de la pile ; j’aurais dû la rabaisser. »

Hugo aurait d’ailleurs pu proposer son aide !

Au lieu de cela, il se lança, encouragé par un regard amusé.

« J’écris et je publie des poèmes, j’en ai ici », dit-il en fixant les deux larges verres ronds qui reflétaient son visage, comme une promesse.

« Comme c’est intéressant ! » et elle éclata de rire pour la quatrième fois. Un rire plus aigu et sensuellement flûté.

Hugo se débarrassa de son sac à dos qu’il posa sur la table maintenant vide. Il en sortit trois recueils de ses poèmes.

Il les lui tendit.