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Réalisme/Historique
brabant : La Potée
 Publié le 09/11/11  -  21 commentaires  -  28325 caractères  -  227 lectures    Autres textes du même auteur

Regrets

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est fortuite.
Les personnages sont imaginaires.
Moi-même je n'existe pas.
D'ailleurs vous n'avez jamais lu ce texte.


La Potée


Hélène s’était mariée sur le tard… ça n’était pas qu’elle ne fût pas belle, Hélène ! Or quel désastre quand elle ouvrait la bouche !… Mon Dieu !…


C’est du moins ce que m’a rapporté ma cousine Bette alors que je compulsais de vieilles photos en m’extasiant sur les beautés d’après-guerre. Celles de Radio Londres. Quand la mode était aux permanentes, aux colliers de grosses perles, aux corsages apprêtés et aux jupes couvrant le genou, mais dégageant le mollet sur des socquettes blanches. Ou plus uniment et plus "class" au tailleur Chanel.


Pourquoi s’était-elle finalement mariée alors que la France indifférente à son bonheur tout neuf était occupée à perdre l’Indochine et que se profilaient les cimes de l’Aurès ? Son père venait de mourir des suites perfides d’un emphysème chronique, séquelle d’ypérite. Sainte-Catherine s’accrochait à ses jupons d’ingrate cotonnade. Coiffée d’importance elle se dirigeait tout droit vers le sort peu enviable de grenouille de bénitier. Pis !… de vieille fille.


Son gendarme de mère l’étouffait d’oukases moralisateurs bridant par la même occasion toute velléité sentimentale. Ne traîne pas en route… Fais attention… Rentre directement… Monsieur Père déjà, montre gousset en main et l’œil sur la pendule, ne lui accordait que le temps en rapport avec l’objet de sa course. Tu as un quart d’heure… Gare à toi si tu es en retard !… grondait Podarge - Podarge ? Quel nom curieux ! Pourquoi pas Priam pendant que vous y êtes ? La pauvre fille devait souvent galoper pour ne pas encourir la colère paternelle continûment approuvée par la mère. C’est pour ton bien !… Autres temps autres mœurs. L’honneur d’une fille c’était l’honneur d’un père, d’une mère, d’une famille… et de toute la chrétienté. Olé ! Holà ! Victoria s’arrogeait de la sorte une domesticité d’un dévouement à toute épreuve, quasi pavlovien.


Oui ! Mais voilà ! Une pauvre pension de veuve ajoutée au salaire d’une cousette peinent à faire bouillir la marmite, même lorsque l’on élève des lapins, quelques poules et trois canards. Les économies du défunt cordonnier paternel fondaient inexorablement. Et les petites mains voyaient arriver avec effroi les métiers à tisser industriels. Ces orgues de barbarie là cliquetaient un drôle de refrain ! Il y a du biseau dans l’air…


On a beau se satisfaire de peu et être propriétaire d’une maisonnette que l’on loue, bon an mal an les coûts ne couvraient pas l’entretien. L’œil de la "Grande-Duchesse" considéra Hélène comme un recours possible.

Le ménage à trois est une technique éprouvée.



***


Fernand était ouvrier agricole, connaissait son métier, aurait très bien pu tenir une ferme. Cela ne s’était pas présenté ou sans doute, célibataire inconséquent, n’y avait-il pas suffisamment réfléchi. Un monde à feu et à sang, de privations et de douleur avait également contribué au fait qu’il ne se fût pas installé. J’en reviens donc à la guerre, celle que les historiens ont qualifiée de "Grande" car elle fit beaucoup de morts. Elle fit aussi beaucoup de prisonniers. Dont le mari de la fermière chez qui il travaillait.


Les Allemands sont un peuple pragmatique. Le fermier se retrouva bientôt en Bavière où il fut mis à la merci d’une veuve détentrice de trente acres de bon humus noir orphelin. Une croix de guerre, si elle contribue à retourner la terre, est un soc qui n’engendre que la désolation. Que l’on soit gaulois ou teuton !


Comme la femme du héros mort s’accommode… "De par Diou !…" la femme du vaincu dispose. Après un temps d’abstinence la fermière arracha Fernand à ses topinambours et au rutabaga. Qui devint de facto le manouvrier du lit de son patron. Quatre années dont il n’eut pas à se plaindre. S’il était gaillard il ne courait pas les bois et la cultivatrice avait des exigences à satisfaire au boisseau près les siennes propres. C’était un homme d’ordre et d’habitude. Pour un peu il se serait cru installé. Mais il n’alla pas jusqu’à faire des rêves homicides. À vrai dire il ne rêvait pas. Au fond c’était un homme honnête.


Les meilleures choses ont une fin. Le mari revint avec les autres prisonniers. La France les accueillit en héros. La métayère retrouva son laboureur. Fernand retourna chez sa mère et ne se montra plus à la ferme qu’au chant du coq pour la quitter à l’enfermement des génisses et des coches. Motus et armistice !


Lit et lait chauds le mariage n’a pas que des inconvénients. Après quelques années, des fortunes diverses et le concubinage étant mal vu, notre manouvrier se lassa de courir la donzelle et songea à s’établir. Un homme qui perd ses cheveux fait plus que son âge ; il était temps qu’il se remue s’il ne voulait pas passer le reste de son temps à jouer à la manille le dimanche après la messe.



***


Qui dira le nombre d’œillades échangées sous les croisées d’ogives, les frôlements dans les transepts ?… L’Église est une mère maquerelle. En tout bien tout honneur. On est en terre consacrée. Sous le regard de Dieu.


C’est en tirant grand la langue pour mieux happer l’hostie qu’ils croisèrent leurs regards par un dimanche de mars. Il avait des épaules et un cou de taureau, dégageait la puissance sourde des hommes de la terre ; sa taille à elle était fine et nerveuse. Il fermerait les yeux quant à ses bigarrures, elle fermerait les siens quant à sa calvitie naissante. Entre petites gens on se comprend sans dire. L’œil brille. Assentiment. Madame Mère veillait qui avait un grand jardin. Cinq ares, c’était un petit champ. On aurait pu y jouer au foot. Lille venait d’être sacré champion de France pour la première fois. Personne ne se doutait que se préparait un demi-siècle de disette. Surtout pas Fernand.



***


Le compère commença sa cour avec la bénédiction maternelle. Promenades chaperonnées remplacèrent la manille puis ce fut le café avant les vêpres. Fernand peu à peu prêta la main aux travaux d’entretien : un grillage à rafistoler, une gouttière à redresser, une tuile à remplacer, un bâton de chaise à mettre au pas assurèrent sa cour. C’était un homme à tout faire. Il dépiauta bientôt le lapin du dimanche, étouffa le coulon, pluma la coucou, coupa le cou du colvert piégé dans la basse-cour - Avez-vous déjà vu courir un canard qui n’a plus toute sa tête ? De quoi faire la nique à Pinder ! - toutes corvées ordinairement dévolues à Hélène. Et puis il y avait le jardin, l’immense, le jardin gargantuesque qui dévorait à plein temps le temps compté de deux personnes besogneuses.


La semaine à la ferme, le dimanche partagé entre le jardin d’Hélène et les gaufres de Victoria, fourbe et mielleuse entremetteuse, cassonade et vieilles dentelles, Fernand ne s’en sortait plus mais Fernand était amoureux… un peu… beaucoup… passionnément… amoureux d’Hélène, Fernand d’elle était fou ! On sait que l’amour rend aveugle.


Enfin ! Jusqu’à un certain point ! On n’est jamais plus vulnérable que lorsqu’on croit avoir gagné la partie. S’il avait lâché les cartes, notre gaillard s’autorisait deux canons anonymes à l’abri des jalousies du café "BELLE VUE", le dimanche, à une heure entre la messe et le kawa. Comme il avait bien œuvré à la ferme toute la semaine et bien aidé aussi le soir à jardiner, il céda à l’empressement d’un quidam égrillard qui offrait une tournée générale. L’œil courroucé du tenancier lui intimant que l’on ne refuse pas le commerce, il avala d’un trait le chômeur qui le toisait sur le comptoir, noir comme la tentation de saint Antoine. Un autre verre s’ensuivit et le patron qui connaissait son métier relança l’affaire. Un verre chassa l’autre qui chassa la pendule.


Aussi Fernand ne s’étonna-t-il pas quand son coup de sonnette timoré resta sans réponse. Tous des soûlots ! Le corridor derrière la lourde porte close était lourd de réprobation. Les deux femmes l’observaient sous le couvert du rideau imperceptiblement biaisé, à l’affût, au coin de l’unique fenêtre de la façade. Hélène morfondue pour complaire à sa mère car ça n’était pas une méchante fille, Victoria chafouine calculatrice, dispensatrice de leçons. Poivrot ! L’homme ne fut pas reçu de la semaine. La mise en condition avait commencé.


Pourquoi éprouve-t-on un malin plaisir à courir à sa perte aussi sûrement qu’un renard gascon persistant à se prendre pour un cerf au-devant d’une meute ?



***


Le dimanche suivant le commandement fut signifié avec l’hostie, repentir et pénitence, codex et absolution. Feu Monsieur Père avait cessé de fréquenter le bistrot en fréquentant sa moitié d’orage, le prétendant se verrait verser deux Pernod Fils - noyés - après avoir raccompagné ces dames aux cheveux disciplinés en un chignon contraint par une résille, filet de rétiaire. Celles-ci boiraient un vin doux, un "malaga" bon marché, moins cher que le "Dubo Dubon Dubonnet", à la mode en ce temps-là.


Fernand ne sortit plus que pour entrer chez sa belle sous l’œil attentif de la duègne. Par la suite il eut droit à son quart de vin le midi, deux godets à quatre heures et deux au souper, où il ne manquait pas de faire chabrot en clignant de l’œil comme on rote, manifestation d’une intense satisfaction, mais aussi marque de connivence duplice à l’intention d’un visiteur imaginaire ; on lui permit encore de chiquer, ce qui lui faisait des dents immaculées dans des gencives saines, le jus de chique abominant le streptocoque. On ne souciait guère alors de l’haleine.


Avec la fille il épousa la mère. Il considéra même au début avoir fait une bonne affaire, lui qui avait plutôt misère. Soutien de famille il avait évité la guerre, cependant à nourrir sa mère et élever ses frères et sœurs il ne s’était pas enrichi. Propriétaire virtuel d’une maison en ville - Oh ! Pas une maison de maître - avec un grand jardin, sans garage certes - mais seuls les notables avaient une voiture à l’époque - une maison de bordure, en alignement, avec un couloir de toute la longueur du pignon qui accueillait deux vélos hollandais, assez grand pour accueillir la mobylette qu’il escomptait plus ou moins confusément se payer, mitoyenne d’une maisonnette louée pour l’heure, qui serait son refuge les jours de bouderie dans ce logis d’où seule la fumée s’échappait aux frissons de l’hiver, lui qui ne possédait qu’un huitième de corps de ferme ouvert aux quatre vents sur deux ares de mauvaise terre toute d’argile, de sable et de chiendent. Victoria finirait bien par mourir. Assurément.


Y avait-il pensé, l’avait-il calculé, obscurément imaginé ? À son corps défendant… Avec sa rouerie de paysan madré… Parce que c’était dans l’ordre des choses…


Les années passèrent. Il n’y eut pas de mobylette. Sa vie fut réglée comme du papier à musique. Son vin était mesuré mais il pouvait chiquer sans compter. Le tabac belge était bon marché - déjà - La Feuille ou Le Broutteux. Victoria ne dédaignait pas pour sa part une pincée de Caporal carottée française, comme nombre de femmes âgées en ce temps-là, les narines rongées des plus acharnées laissant s’écouler un jus inopportun qui maculait bientôt d’un innommable brun noir, nicotine et morve mêlées, leurs amples mouchoirs à carreaux. Atchi ! Snuff alors !

À cette époque les épouses donnaient leur dimanche aux hommes méritants, pris sur la quinzaine fièrement ramenée en bel argent liquide par le mâle jubilatoire. Certaines épouses étaient généreuses, d’autres beaucoup moins et celui qui ne portait pas la culotte faisait alors profil bas dans les bistrots. Se faire oublier, pas question de payer une tournée, parfois en profiter. J’ai connu un fermier qui camouflait ses billets dans sa blague à tabac, voleur de ses propres poules ou de quelques sacs de pommes de terre qu’il vendait à la sauvette. "Ben !Mi ça m’f’ro kier ! Et point din min froc incor !…" patoisait mon père. Sous prétexte qu’il ne manquait de rien à la maison les deux femmes détroussaient effrontément Fernand. Pas de dimanche pour l’impétrant ! Schpountz !

Le trio se nourrissait chichement des produits du jardin et des promotions de la COOP, LECLERC avant l’heure, sans la frime. Une paella en boîte était un plat de fête. Singe, pâté "Olidénaff", saucisses de Francfort, sardines Charles Martel, cassoulet Timo, choucroute William Saurin, couscous "C’est bon comme là-bas, dis !", crabe Chatka en miettes de Noël, les conserves sont la gastronomie du pauvre.

Les deux femmes thésaurisaient. C’en était maladif. Ne souriez pas vous qui n’avez pas connu la guerre où l’on stockait le sucre, les pâtes et le riz dans les greniers avec l’alcool lampant et les bougies. Les épiciers faisaient alors fonction de droguistes, vendaient du fromage à la tomme et des souris en chocolat, du blé rouge et des rubans glu anti-mouche, du sent-bon et du vin d’Algérie. Ah !… les boutiques d’antan ! Échoppes alibabesques ! Du fond jusques aux combles !


Esclave moderne, manouvrier magnifique, Fernand voyait défiler les années.



***


"Savez-vous planter les choux,

À la mode, à la mode,

Savez-vous planter les choux,

À la mode de chez nous ?"


Est-il bon pour un jardinier d’épouser une rosière ? Dans le ciel point de cigogne ! De la tête d’un bébé pas de fontanelle ! Le ventre d’Hélène restait stérile. Jeu de dupes, amour de circonstance, Hélène ne frémissait guère que par désir d’enfanter. Le lit lui sembla bientôt trop petit où elle devait s’accommoder d’un homme dont la semence "n’était que de la flotte". Il lui fut plus facile de s’en détacher n’étant finalement pas très portée sur la chose, le considérant alors comme un objet, un outil, un amour de façade. Mulet. Arlequinade.


Le malheureux eut beau s’échiner saison après saison. Dans les choux pas de garçon et les roses lui donnaient de l’urticaire, pas l’ombre d’un bouton de fille. Le mitan du lit resta inoccupé malgré ses prières.


"Malbrough s’en va-t-en guerre,

Mironton, mironton, mirontaine,

Malbrough s’en va-t-en guerre,

Ne sait quand reviendra

Ne sait quand reviendra


Il reviendra-z-à Pâques,

Mironton, mironton, mirontaine,

Il reviendra-z-à Pâques

Ou à la Trinité !"



***


Entre autres joyeusetés Madame Mère était d’une terreur maladive. Depuis quelques années et tandis qu’elle devenait podagre, elle dormait en bas dans la pièce de devant partiellement aménagée en chambre. Capharnaüm encombré de babioles militaires, coupe-papiers de cuivre gravés comme des ex-voto, briquets fabriqués avec des douilles, fûts d’obus en guise de vases empâtés de chromos bucoliques, petites boîtes de nacre violine, coquillages du côté de chez Blum, fleurs séchées vestiges d’herbiers ou d’amours surannées, mèches de cheveux, daguerréotypes de gisants ainsi que c’était l’usage - "Souviens-toi Barbara… Il pleuvait sur Brest ce jour-là… Un homme a crié ton nom Barbara… Quelle connerie la guerre… Sous une pluie de fer, de feu, d’acier, de sang, une pluie de deuil terrible et désolée… Remember ! Remember !" - et autres portraits peu folichons aux traits tirés à coups de mitraillettes. Ô les photos d’époque !… C’était une chambre que n’eût pas reniée Colette à sa psyché…

Elle vivait dans la peur des cambrioleurs ; de ceux qui violaient et brûlaient la plante des pieds. Terreurs ancestrales. Au fond c’était une femme du XIXe siècle, Victoria ! "Flemish Queen" avec le gras accent. La porte d’entrée était toujours fermée à double tour et n’était ouverte qu’avec circonspection, après une longue attente et moult œillades au coin de la fenêtre. Une persienne en PVC trop légère, sonore, qui creusait et puis bombait le ventre sous les assauts du vent, tôt baissée, la séparait de la rue dont elle guettait les bruits avec une anxiété qui devenait paroxystique aux alentours de minuit. La maisonnée se couchait avec les poules. Ô les nuits de tempête ! Ô les garous hurlant à la lune ! Chambre ardente où s’éveillaient les sorcières baisant le cul du Grand Bouc ! Ne pas penser, ne pas nommer. Conjurer. "Notre Père qui êtes aux cieux… Je vous salue, Marie pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous…" Ô les nuits d’orage où elle se réfugiait tout habillée dans la cuisine, blottie contre sa fille avec ses économies entassées dans une boîte à biscuits Delacre ! "Priez pour nous pauvres pécheurs… maintenant et à l’heure de notre mort…"


Pauvre Fernand embrigadé ! Fernand annihilé, trop heureux de camper les matamores, qui devint l’otage de cette funeste comédie !


Puis il se lassa des terreurs infantiles, prit l’habitude de briser là après le réconfort et presqu’en s’excusant, d’aller se coucher seul dans le grand lit du haut, laissant Hélène au chevet de sa mère. Il ne la retrouvait que le lendemain. La duègne joua de ses angoisses. L’homme n’était en rien le maître dans cette maison n’ayant apporté que sa culotte, velours inopérant, la fille était obnubilée par toute une vie d’obéissance. Ah ! S’il l’avait fait vibrer sous ses coups de boutoir mais non il n’avait pas trouvé la clef de cette serrure-là. Il n’avait même pas réussi à lui faire un enfant.


Un second lit fut donc installé dans la pièce du devant. Hélène pourrait y dormir, réconforter sa mère les nuits extraordinaires. Fernand ne descendit plus. Les nuits extraordinaires devinrent des nuits ordinaires. Fernand dormit seul dans le grand lit tout froid. Coi. "Quoi ?" Hélène dormit avec sa mère. Elle ne le rejoignit plus sans qu’ils fussent fâchés. Elle n’était pas une mauvaise fille. Elle s’était trompée d’amour, tout simplement. Si seulement elle avait eu des enfants, des enfants fripons dans les jambes ! Elle aurait appris la vie.


Fernand, floué, reporta sa haine sur la mère. Une haine sourde, une rancune tenace. Il se réfugia dans l’immense jardin, il traqua plus encore le brin de mauvaise herbe, il gagna tous les prix des jardins potagers. Celui de la plus belle carotte, la plus grosse, la plus lourde et la plus régulière, du plus gros potiron, de la plus grosse courge, du Monstrueux Carentan. L’Indicateur des Flandres puis Nord Éclair et Nord Matin, jusqu’à La Voix du Nord les glorifièrent dans des photos sublimes. C’était une belle famille. C’était un beau ménage que ce ménage à trois.



***


Le tabac est sournois, il prend son temps, il œuvre insidieusement et si la chique épargne le poumon, sous couvert de dents blanches elle fait une voix rauque. Sur un vélin de vin par trop chaptalisé, du rouge supérieur, supérieurement soufré, La Cuvée du Patron, là-bas du côté de la luette et puis de l’épiglotte le CRABE finit par attraper son homme.


Sexagénaire plus deux à la pendule du diable Fernand fut hospitalisé. N’étant plus utile au lit depuis des temps immémoriaux il perdit aussi son statut d’homme de main et ne servit plus que pour la façade, prétexte nécessaire, falsificateur, façade sans parade. Il pouvait à la rigueur faire illusion, illusion d’homme comme il avait été un alibi, une illusion de mâle, et décourager le faraud en maraude. Mais tout finit par se savoir et dans l’esprit de Victoria il n’impressionnait plus personne. Elle l’eût, si elle l’avait pu, mis à la brocante avec les outils défaillants.


La condamnation était sans appel, marquée au coin de l’empirisme, cette perversion du bon sens, dénuée de compassion.


- Mais qu’est qu’ils ont donc tous ces hommes à mâcher du toubac à longueur de journée ? Vicelards !


Péché mortel.

Le glas avait sonné.

L’épitaphe était écrite.


Fernand mourut la rage au cœur le soir de ses soixante-quatre ans, aux quinquets de l’an 68 alors que la France s’apprêtait à manquer le tournant de l’Histoire. Victoria ne pleura pas mais eut la politesse machinale de singer l’apitoiement. Hélène qui n’avait pas compris qu’elle était passée à côté de la vie pleura comme une Madeleine, de bon cœur. Sans réel accablement. Parce qu’il fallait pleurer. C’était une bonne fille ; elle pourrait désormais porter sa totale attention sur sa mère et trembler avec elle les nuits de grand vent quand les persiennes, les volets et les huis claquent, grincent, couinent et s’éclairent, quand les orages grondent sous la lune, qu’elles attendent là dans le noir, sœurs utérines des princesses échevelées d’Ekaterinbourg, pécule sur les genoux dans des boîtes en fer blanc, que leur maison brûle, prêtes à l’exil sous les crépitements.


Les deux femmes étaient orphelines de ce quidam châtré. Ça ne devait pourtant pas être si compliqué de vivre sans tabac. Fernand était mort au mois d’août. La nature à sa manière lui avait rendu hommage. La fermière, son ancienne patronne, visita les deux veuves et assista à son enterrement. Suspicion. Le mari de celle-ci ne valait plus grand-chose trop occupé, pensait-elle, d’edelweiss et de toison blonde sur fond de Forêt-Noire. Celle-là du moins rendait hommage au souvenir de sa vigueur chevaline. Il était un poulain superbe et généreux, non pas un mulet têtu et besogneux. Regards entendus. Sourires de travers.



***


Les jours de Toussaint, l’arrière de mon coupé hollandais, banquette relevée pour agrandir le coffre, s’encombrait de fleurs. Chrysanthèmes et pâquerettes pomponnettes s’y pressaient, essaimant force pétales sous les sièges, étranges et funestes passagers à la tête courbée par la "soupente". Ma mère et moi satisfaisions aux honneurs du cimetière, allant d’une tombe à l’autre rendre notre annuel hommage. La voiture garée au plus près de la grille il nous fallait effectuer, un pot sous chaque bras, au moins deux voyages sur les graviers fouillant.


Il n’y a pas de petites économies. Hélène et Fernand faisaient pousser eux-mêmes leurs chrysanthèmes au seuil de leur jardin. No man’s land élyséen. Mais depuis la maladie de ce dernier, Victoria s’était résolue à acheter les fleurs à la coopérative voire chez quelque particulier moins exigeant sur les prix, qu’elles convoyaient jusqu’au cimetière à l’aide d’une carriole à bras. Quand ma mère se présenta pour les accompagner, comme elle en avait pris l’habitude depuis que Victoria s’était mise à boiter bas, elle trouva le duo en pleine perplexité. Les deux veuves comptaient et recomptaient les pots. Dans cette maison où tout était compté le compte n’y était pas ou plutôt le compte y était "trop". Comme on reçoit treize œufs à la douzaine. Du moins la première fois.


Entre pomponnettes et chrysanthèmes il y avait un pot mystère, un pot parasite, un pique-soucoupe auquel bien que comptant et recomptant Hélène n’arrivait pas à attribuer de destinataire. Victoria s’impatientait s’en prenant à sa fille, on serait en retard au cimetière, l’heure c’était l’heure, pour les morts comme pour les vivants.


Hélène compta pour la énième fois sous l’œil effarouché de sa mère et celui attentif mais bienveillant, se forçant à la sérénité de la mienne, qui avait tenté en vain d’ouvrir au monde l’esprit étriqué de sa cousine. Intéressée et obtuse comme une paysanne de Maupassant, celle-ci, fidèle en cela aux préceptes de Victoria, sous couvert de parentèle l’exploitait effrontément en lui vendant au prix fort salades pourries et fruits avancés qu’elle n’aurait pas osé proposer à la COOP ni à ses autres clients. Il est des gens dont la patience est inépuisable, dont l’affabilité est sans limite. Abus de faiblesse.


- Bon ! Voyons ! Nom de Diou de nom de Diou ! Ces pomponnettes sont pour Léocadie. Elles ne font pas trop jeunes ? Qu’en penses-tu, Émilienne ? Celles-là pour Cassandre, jaune et mauve mélangés, c’est joli hein ! Ce pot de chrysanthèmes blancs c’est pour Achille, deux têtes tu crois que c’est assez ? et celui-là pour Géro… Oui, deux têtes c’est assez pour des cousins… Ce pot à quatre têtes, c’est pour papa, elles sont belles, p’pa serait content… Heummm !… … … Celui-là… à trois têtes… c’est pour Oncle Hector qui est mort à la guerre. C’était un bon garçon ça, il ressemblait à une fille, hi hi ! Ah là là !… comme Alex (pour votre gouverne Alex, c’est votre serviteur !)… Bon ! Cet autre-là pour Madame Roguin, notre voisine, c’était une bonne femme ça, elle nous a dépannées pour les papiers quand papa est mort, elle aimait bien nos salades… et nos prunes et nos fraises… on lui en a vendu beaucoup… hein maman ? Tu m’écoutes maman ? Fais un peu attention ! Je dois toujours tout faire toute seule ! Allez ! Tu comptes avec moi : Un, deux… trois, quatre… cinq… six… sept… Bon sang !… … … huit !… Nom de Diou !…

- Emporte tout, cracha Victoria en jetant les bras au ciel, on verra au cimetière !



***


Au cimetière les deux femmes fleurirent Fernand.

En riant comme elles n’avaient pas ri depuis longtemps.


- Ainsi va le monde !… soupira ma mère.


Puis me considérant :


- À propos ! Tu n’es toujours pas marié toi !…



"Roses blanches de Corfou

Roses blanches, roses blanches

Chaque nuit je pense à vous

Roses blanches de Corfou"


"sic transit gloria mundi"


23 août 2011


Jour de la calendaire Sainte Rose de Lima.



Notes :


Permanente : indéfrisable. Ypérite : gaz moutarde. "La Grande-Duchesse de Gérolstein" (opéra-bouffe de Jacques Offenbach) : Hortense Schneider est physiquement assez représentative de la matriarche imaginaire de cette nouvelle. Manille : jeu de cartes. Coulon : pigeon. Coucou : poule des Flandres. Pinder : Cirque de légende repris par Jean Richard en 1971, dont Achille Zavatta fut un clown célèbre popularisé par la fameuse Piste aux Étoiles des balbutiements de la Télévision Française. Résille : filet à mailles qui enserre les cheveux. Rétiaire : gladiateur armé d’un filet et d’un trident. Kawa : café. Chômeur : verre de vin de grande contenance. Pernod : boisson à l’anis. Noyer : allonger une boisson alcoolisée d’une grande quantité d’eau. Faire chabrot (ou chabrol) : verser le reste de son vin dans sa soupe. Snuff : tabac à priser. COOP : Coopérative de Flandre et d’Artois. Podagre : rhumatisant. Flemish : Flamand. Monstrueux Carentan : poireau. Toubac : tabac. Singe : corned beef. Olida, Hénaff : pâtés en boîte. CRABE : cancer. Chaptaliser : ajouter du sucre pour augmenter le degré d’alcool. On soufre le vin pour favoriser sa conservation ; c’est le soufre qui est responsable de la gueule de bois. La chaptalisation et le soufrage se pratiquent de manière excessive avec de mauvais vins. Alex : diminutif d’Alexandre, autre nom de Pâris.


Je suis conscient que l’intégralité de ce lexique est parfaitement inutile pour les lecteurs d’Oniris. Il est avant tout un pense-bête destiné à mon usage personnel.


Hommage à Jacques Prévert, à Nana Mouskouri et… aux "comptines" de mon enfance !



 
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   Anonyme   
9/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une bonne histoire, je trouve, des personnages qui vivent. Je trouve que l'ensemble sonne vraiment juste ! J'ai toutefois un bémol sur l'écriture : elle est très appliquée, parfois belle, mais certains moments m'ont paru obscurs (cf. ci-dessous).
Au début, pour la présentation de la situation et des personnages, j'ai eu l'impression que le texte aurait gagné à plus de resserrement ; l'ennui, pour moi, n'était pas loin. La suite est beaucoup plus intéressante, toutefois je pense que par moments l'histoire patine, se répète. Une réduction générale du texte ne nuirait pas à mon avis, j'ai eu un peu le sentiment de manger un ragoût prometteur mais à la sauce trop liquide, qui manque un peu de corps.

"J’en reviens donc à la guerre, (...) Qui devint de facto le manouvrier du lit de son patron." : j'ai eu du mal à comprendre la situation ; pour moi, sa description n'est pas très claire.
"Il fermerait les yeux quant à ses bigarrures" : là, je n'ai pas compris à quel défaut physique il était fait allusion chez Hélène.
"Elle l’eût, si elle l’avait pu, mis à la brocante avec les outils défaillants." : j'aime beaucoup !

   Anonyme   
11/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Lecture intéressante, enrichissante (j’ai appris plusieurs choses) et agréable. J’ai trouvé un style plein de gouaille aigrelette, d’ironie gentille mais très observatrice d’un mode de vie aujourd’hui révolu et, pourtant, pas si ancien que l’on pourrait croire.
Cette peinture sociale est assez réussie (je suis assez vieux pour en avoir connu les toutes dernières décennies). Les portraits des personnages sont excellents, bien dans le fil de l’époque décrite. Ce texte est un quasi témoignage.

Cependant, j’ai relevé ce qui me semble être une erreur d’appellation, à propos de la guerre dont il est question. L’auteur écrit :
« J’en reviens donc à la guerre, celle que les historiens ont qualifiée de ‘’ Grande ‘’ car elle fit beaucoup de morts. »
La « Grande » guerre est celle de 1914-1918 et non celle de 1939-1945. Or :
« Fernand mourut la rage au cœur le soir de ses soixante-quatre ans, aux quinquets de l’an 68 »
Il est donc né en 1904. Ainsi, en 1914, il n’avait que 10 ans. En 39, il en avait 35. C’est donc bien la Seconde Guerre Mondiale qui voit Fernand remplacer le fermier prisonnier.

Autre détail qui me semble chronologiquement discutable :
« Une persienne en PVC trop légère,… »
Dans les années 50-60, le PVC était connu, certes. Mais je ne suis pas certain du tout qu’il était déjà utilisé en menuiserie. Mon père était menuisier, à cette époque, et le bois était encore le roi des portes, volets, fenêtres, jalousies et autres ouvertures.

Je n’ai pas trop aimé le calembour un peu facile et éculé :
« Fernand d’elle était fou »

Cette phrase à rallonge, à tiroirs, aurait gagné à être scindées en deux ou trois.
« Propriétaire virtuel d’une maison en ville - Oh ! Pas une maison de maître - avec un grand jardin, sans garage certes - mais seuls les notables avaient une voiture à l’époque - une maison de bordure, en alignement, avec un couloir de toute la longueur du pignon qui accueillait deux vélos hollandais, assez grand pour accueillir la mobylette qu’il escomptait plus ou moins confusément se payer, mitoyenne d’une maisonnette louée pour l’heure, qui serait son refuge les jours de bouderie dans ce logis d’où seule la fumée s’échappait aux frissons de l’hiver, lui qui ne possédait qu’un huitième de corps de ferme ouvert aux quatre vents sur deux ares de mauvaise terre toute d’argile, de sable et de chiendent. »

Enfin, une tournure grammaticalement impropre, je crois, dans ce paragraphe :
« La fermière, son ancienne patronne, visita les deux veuves et assista à son enterrement. Suspicion. Le mari de celle-ci ne valait plus grand-chose trop occupé, pensait-elle, d’edelweiss et de toison blonde sur fond de Forêt-Noire. »
Le pronom démonstratif « celle-ci », qui veut désigner «l’ancienne patronne », se rapporte en fait, tel que c’est écrit, à « Suspicion » ! Non ?

Tout cela n’empêche pas que ce soit là un texte très honorable.

   Anonyme   
11/10/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Visiblement vous connaissez bien votre affaire, les moeurs de la paysannerie d'après-guerre n'ont aucun secret pour vous. C'est un véritable florilège des coutumes et habitudes de cette époque que vous nous livrez là. Vous disséquez au scalpel - toujours avec une ironie mordante - les calculs, les trahisons, les non-dits et les faux-semblants qui jalonnaient le quotidien de ces petites gens. C'est assez jubilatoire et joliment porté par un style riche et fouillé.

Par contre j'ai trouvé l'histoire trop longue, ça se comprend car vous retracez la vie d'un homme mais ça manque tout de même de péripéties. J'ai eu du mal à finir tant mon intérêt s'émoussait. Reste néanmoins une impression positive.

J'ai relevé quelques phrases savoureuses :

- "L’honneur d’une fille c’était l’honneur d’un père, d’une mère, d’une famille… et de toute la chrétienté."
- "Un verre chassa l’autre qui chassa la pendule".

   doianM   
21/10/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un récit qui se lit avec plaisir.
Une union qui se fait pour les besoins de la terre. Un mari pauvre en bonne semence, et qui meurt tué par sa chique.
Une fille dont la mère a pris en main le destin, un ménage qui devient, en sortant des canons de l'expression, "à trois".
En raccourci, les destins des prisonniers de la guerre.
Un texte généreux, haut en couleur.
C'est une seule remarque que je ferais, tout en honneur au style et à sa richesse. Ne risque-t-il, par endroit, de se mettre trop en évidence, noyant les personnages et leur histoire ?.
Heureusement qu'on s'y attache car, je le trouve, bien tourné.

Merci et bonne continuation

   Lunar-K   
24/10/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une écriture assez particulière et originale qui témoigne, je pense, d'une véritable recherche et d'une maîtrise tout à fait évidente du langage. Il y a un style, c'est clair. Fort dense et fort riche. Un style assez fleuri par moment, atypique à d'autres. Bref, un style qui me paraît très intéressant.

Néanmoins, je crois que vous en faites parfois de trop... Au point d'étouffer totalement votre récit, par moment, sous cette surabondance de détails, de tournures étranges, de jeux de mots et de blagues parfois limites, d'expressions ampoulées, etc. Votre texte en devient franchement lourd et, pour tout dire, assez ennuyeux...

D'autant que l'histoire que vous voulez nous raconter n'est pas des plus passionnantes non plus... La vie d'un homme, c'est long... Et ne l'exposer qu'à travers une série de faits marquants est un peu réducteur. Cela manque de consistance, je trouve. C'est-à-dire que vous tenez là un récit dont il y a certainement beaucoup à dire, mais vous n'en dites finalement pas grand-chose. Ça manque de vie, je trouve.

Bref, je n’ai pas pu rentrer dans ce texte. J’ai eu l’impression d’une écriture tournant à vide (j’exagère peut-être un peu ici, mais on en est pas si loin tout de même…), qui ne parvient pas à mettre en évidence l’histoire qu’elle devrait porter. C’est dommage car, comme je le disais, l’écriture est plutôt chouette, travaillée et originale (malgré quelques lourdeurs).

   Anonyme   
9/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut à toi, ô brabant, et merci pour cette virée campagnarde et historique en ce vingtième siècle durant lequel nous avons, pour les plus anciens, amassé tant de souvenirs que les « ceusses » de vingt ans ne peuvent même pas imaginer…
Plus qu’une histoire c’est un tableau familial que tu nous offres ici ; un tableau parfaitement brossé de ce que furent les us, coutumes et mentalités de cette époque qui berça notre enfance et un peu plus. Avant d’aller plus avant, pourquoi la Potée comme titre ? En hommage à Fernand, le roi de la carotte et du potager en général ? Va pour la Potée…
Autre point, tu t’es un tantinet emmêlé les crayons entre 14 et 40… Bizarre venant de toi !
La Grande guerre, dite aussi à tort la Der des ders, c’est bien 14-18…
Cela dit, j’ai bien aimé toutes ces références au passé y compris le pâté Hénaff, fleuron de la charcuterie bretonne pour le petit peuple, sans oublier le singe et la Coop d’après guerre qui ouvrit le chemin à tous les hypers actuels…
En conclusion un petit saut en arrière qui n’est pas pour me déplaire, le tout servi par une écriture que j’aime beaucoup !

   Mona79   
9/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bravo Brabant ! Pour moi qui ai vécu cette dernière guerre (pas celle de 14, hein, faut pas pousser ! et puis dans mon enfance, s'entend...) j'ai fait un sacré retour en arrière et je m'y serais crue à bien des détails :
"L’honneur d’une fille c’était l’honneur d’un père, d’une mère, d’une famille… et de toute la chrétienté./la mode était aux permanentes, aux colliers de grosses perles, aux corsages apprêtés et aux jupes couvrant le genou, mais dégageant le mollet sur des socquettes blanches." et le Pernot, le singe, les conserves comme repas de gala...

J'ai cependant relevé quelques invraisemblances :
"On a beau se satisfaire de peu et être propriétaire d’une maisonnette que l’on loue, bon an mal an les coûts ne couvraient pas l’entretien." Si c'est une maisonnette que l'on loue, on ne peut pas en être propriétaire, ou bien on la loue pour qu'elle rapporte mais dans ce cas on ne l'habite pas.
D'autre part si Fernand était prisonnier de guerre au service de la femme allemande, le mari de cette dernière ne pouvait pas être lui aussi prisonnier, mais le vainqueur remontant au pas de l'oie les Champs-Elysées et, lorsqu'à son tour, la défaite ayant sonné, il fut fait prisonnier, Fernand libéré ne pouvait plus, en aucun cas, être au service des teutons...

Mais ce sont des détails faciles à corriger.
J'ai savouré à leur juste valeur des expressions comme : "L’Église est une mère maquerelle. En tout bien tout honneur. On est en terre consacrée. Sous le regard de Dieu."/
"Un verre chassa l’autre qui chassa la pendule"

Et cette potée de fleurs en trop résume bien l'esprit de cette peinture burlesque de l'époque où : "un sou est est un sou" pas de gaspillage, non mais !
J'i ri et souri et ne me suis pas du tout ennuyée. Merci Brabant.

   horizons   
9/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Style exceptionnel par sa richesse, sa maîtrise, son vocabulaire, ses calembours: du travail d'orfèvre. Le fond est, de plus, très bien documenté. Un gros travail, très impressionnant.
Juste un petit regret, le ton volontairement ironique qui peut paraître un peu condescendant parfois.
Enfin, la virtuosité est parfois contre productive car elle suppose un effort d' attention de la part du lecteur (on doit relire plusieurs fois pour bien comprendre.). Or, hélas, dans notre société, c'est l'immédiateté qui prime. Donc, l'auteur aurait intérêt à dégraisser un peu son style pour qu'il reste aussi digeste que délicieux. (surtout pour une éventuelle production plus longue).
Au plaisir de vous lire.

   macaron   
9/11/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une histoire à vous faire aimer notre époque! Quelle vie pour ce pauvre Fernand! Vous nous avez conté avec saveur, ironie et aussi ce souci du détail cette comédie humaine trop cruelle pour ne pas être vraie. Votre style parfois trop poussé alourdit un peu la lecture et la longueur du récit peut amener à l'ennui. Néanmoins, cela reste un agréable moment de lecture pour ce qui me concerne. A vous relire bientôt.

   BGDE   
11/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Le style est particulèrement oroiginal, très agréable et merveilleusement enrichi par de nombreuses nuances.
C'est dommage qu'il soit au service d'une intrigue qui manque quelque peu de relief.
Mais le rendu de la vie campagnarde est délicieux.

   Marite   
11/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai adoré ce saut dans la vie paysanne " d'hier " , oui car finalement, tout ceci n'est pas si éloigné dans le temps. Une écriture savoureuse par nombre d'expressions nous fait voyager dans ces années passées. A plusieurs reprises j'ai souri, j'ai même ri, la longueur ne m'a pas ennuyée. J'aurais même bien continué à suivre les évènements de la vie d'Hélène, une fois sa mère partie elle aussi ... elle va bien finir par se "réveiller" un jour non ?

   alvinabec   
30/1/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ah! Homère, votre lexique n'est pas nécéssaire au lecteur qui vous suit très bien.
Qqes perles d'abord: "l'église est une mère maquerelle". L'oeil courroucé...chassa l'autre qui chassa la pendule". "la politesse de singer l'apitoiement" (machinale, inutile), tout ça est très joliment troussé...
On verse ds le sociologique, la morale avec "une croix de guerre...désolation" Est-ce un plaisir de l'auteur?
Les vers blcs (avec la fille il épousa la mère, affaire, misère, guerre), non! votre texte vaut bcp plus!
Ds l'ensemble, on dira que c'est brillant, très. Mozart devant sa copie trouvait svt qu'il y avait trop de notes, que ça manquait de pauvreté. C'est un petit peu le cas ici avec une foison de références et un vocabulaire que n'eût point renié la Sévigné.
La vie du Fernand est croustillante à souhait entre ses deux harpies.
A vous lire...

   pieralun   
13/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Ayant assez peu de temps à consacrer à mon site pourtant préféré, il est rare que je me penche sur une nouvelle.
Peut-être pour mieux comprendre les commentaires de Brabant, j'ai mollement attaqué "La potée" avec peu d'espoir de la terminer.
Pour ne rien arranger, le sujet que l'on devine dans le titre et les premières phrases ne me passionnait pas.
Mais là! il a suffit de quelques lignes pour m'emporter; le fond du propos ne me surprenait pas, en revanche, quelle écriture !!
Vivante, vivante, vivante, pas une seconde d'ennui; toutes sortes d'humour présentes sans discontinuer; quelques phrases courtes parsemant une belle écriture.
Le premier paragraphe est génial!! vraiment!
Je ne peux pas parler de tout, je suis arrivé à la fin du texte après avoir dévoré une histoire sans grande surprise, mais tellement bien écrite.....
Il est de mon devoir de féliciter l'auteur, car c'est bien là tout de même le nerf de la littérature.

   Anonyme   
20/11/2011
L'auteur aime jouer avec les mots et les références... La Belle
Hélène, la cousine Bette, Fernand d'elle, ainsi même que "De par diou" (mais ai je vraiment bien lu, est-elle volontaire celle-là ?) et d'autres sans doute que je n'ai pas repérés.
Deux trois minuscules petites choses (mais je répugne à toucher au style, à la façon de dire donc, ça ne concerne que moi )

Première phrase :
"... ça n’était pas qu’elle ne fût pas belle, Hélène ! Or quel désastre quand elle ouvrait la bouche !…"
Le "Or" me tarabuste. J'y voyais du fait de "ce n'était pas qu'elle ne fût" et du point d'exclamation un "Mais" quel désastre.

"avec un couloir de toute la longueur du pignon qui accueillait deux vélos hollandais, assez grand pour accueillir la mobylette" une tite répétition ici.

"Le corridor derrière la lourde porte close était lourd de réprobation." là aussi.

"Dans les choux pas de garçon et les roses lui donnaient de l’urticaire, pas l’ombre d’un bouton de fille." pour la fluidité j'aurais bien vu un participe présent ici, lui donnant... (?)

A part ces pinaillages, une lecture plaisante, des images et des odeurs, mais surtout ce temps qui passe et qui englue les âmes, impression de marcher dans une terre lourde, humide et de se mouvoir dans le gris du temps. A part le travail et la terre, il n'y a pas grand chose, ou si peu. Je me demande si nos grands parents étaient heureux et si oui, où ils le trouvaient ? Comme vous le dites : autres temps, autres mœurs.

Il y a du Maupassant dans les descriptions des personnages que j'ai très bien vus bouger, penser, ruminer.

Merci brabant

   rmfl   
24/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Riche en images bucoliques, rappelant Maupassant ou/et Giono, caractères bien plantés...et bien trempés! Entre Proust et Pagnol, eh bien il y a Brabant! Mais quand même dans ce conte des temps pas si passés que cela, je ressens un tout petit peu de morbidité "zolaienne"!
le tout à une sauce stylistique légère, épicée avec parcimonie et accompagné de quelques pointes bien moutardées!
Merci!

   Anonyme   
25/11/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai adoré!
Que ces personnages sont sympathiques et typiques!
Une belle écriture qui coule et j'y ai bu jusqu'à la fin avec avidité.
Ordinairement, les longues descriptions m'ennuient mais là, le style de l'écriture imagé et plein d'humour m'ont tenue en haleine.
Un beau retour à l'arrière dans la manière de vivre, les coutumes, etc.
J'ai ressenti une belle sensibilité dans ce texte aussi...
J'aurais lu plus qu'une nouvelle, tout un roman en le savourant lentement...
Bravo et merci du partage

   Anonyme   
2/12/2011
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Lecteur ! Vous qui passerez ici lire du Brabant, vous dégusterez ce texte comme l'on savoure une babelutte (terme à inclure dans un prochain lexique, d'une géographie qui ne saurait souffrir l'obstacle d'une frontière).
La babelutte, caramel long arômatisé au miel ou à la vergeoise, est originaire de Furnes, fond sous la langue d'un bout à l'autre de la côte belge. Mais les frontières ne sont que des accidents de l'histoire et la Flandre, les Flandres, s'en moquent, comme précisément les babeluttes qui ont sucré et sucrent encore les papilles jusqu'aux enfants de Lille.
Son nom proviendrait de « parler beaucoup » (babbelen) et « terminé » (uit) en flamand, celui qui en mange n'étant plus en mesure de parler (soit parce qu'il le déguste, soit parce qu'il ne peut plus déserrer les mâchoires). Une explication concurrente, mais de même nature, attribue l'origine du nom à « babelle » (qui signifie « bavard » en Ch'ti).
Car ce texte est bavard, mais il est d'un bavard écrit qui s'écoute par les yeux, en silence et sans impatience, en ne précipitant pas au-delà de la phrase en cours le plaisir de lire, par vagues d'onctuosité.
Lecteur, vous allez ici savourer un caramel, ne l'oubliez pas ! Il n'est pas fait pour les brutes. C'est pas de l'effet "Kiss Cool" ! Sachez goûter un terroir, respecter le travail d'un artisan.

Vous en pardonnerez même les rares scories (que voulez-vous, le Nord n'est pas fait que de sucre, mais résonne encore de l'écho des hauts-fourneaux), comme ce "belle, Hélène" ou ce "Fernand d'elle" que vous envisagerez plutôt sous l'angle de l'ami à qui l'on dirait aussi familièrement qu'affectueusement : "Qu'il est con, ce Brabant !"
Oui, vous le pardonnerez, parce que vous y trouverez un texte ouvragé aussi délicatement qu'autrefois le tissus à Roubaix. Vous pardonnerez aussi la ponctuation par endroits relâchée, laissant dans des incertitudes de sens, car vous comprendrez que l'économie qui en est faite permet aussi souvent à la musique de couler sans saccades. Belle musique que celle des sonorités agancées dans un art qui ne tait que par pudeur le nom de "poésie" !
Vous pardonnerez les rares répétitions malheureuses, comme dans "Le corridor derrière la lourde porte close était lourd de réprobation." Vous pardonnerez les très rares exemples d'expressions convenues, comme dans "Sa vie fut réglée comme du papier à musique.", car vous trouverez surtout les savoureux détournements ou agencements originaux qui en sont faits, comme ici : "Dans le ciel point de cigogne !"
Vous pardonnerez encore que l'intention d'élégance soit parfois interrompue juste avant son terme, mais aussi rarement que dans "Pourquoi éprouve-t-on un malin plaisir à courir à sa perte aussi sûrement qu’un renard gascon persistant à se prendre pour un cerf au-devant d’une meute ?" (où le présent de l'indicatif aurait conjugué tellement plus finement le verbe "persister" que son participe).

Brabant obtiendra rapidement, je le sais, votre pardon. Car cet auteur sait se faire pardonner, vous enchanter même, par un "Un verre chassa l'autre qui chassa la pendule" ou un "À cette époque les épouses donnaient leur dimanche aux hommes méritants" et surtout des dizaines d'autres que je ne pourrais relever sans recopier au moins la moitié du texte.

Vous plongerez dans un terroir, dans le temps qui passe, dans la vie des gens, sans gloire et sans génie. Dans la vie, tout simplement.

Vous reviendrez ensuite vers moi pour que nous puissions demander en choeur : "Brabant, donne-nous plus souvent à lire de toi ! Et ponds-nous un bouquin, que Diable, que nous puissions te filer quelques sous pendant qu'il nous en reste encore !"

   toc-art   
1/12/2011
Commentaire modéré

   victhis0   
22/12/2011
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Ca frise la thèse, tellement le vocabulaire et les références sont précises. Heureusement, le style est alerte, les tournures de phrases sont peaufinées sans flatterie. Quelques jolies pièces (la pendule du diable ret d'autres, déjà relevées).
Mention aux personnages, plus vrais que nature
Avec une ou deux péripéties j'aurais vraiment aimé ce texte qui reste un poil fade sur le fond.

   AntoineJ   
23/5/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Une fausse bleuette stylisée agréable à effleurer ...
parfois le style (et ses effets) prend le pas sur l'histoire, et l'on (j'ai) un peu de peine à suivre.
j'aurais été encore plus loin dans la logique de la chansonnette en poussant plus l'absurde ou le cocasse ...

   Bidis   
2/4/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Un texte qu’on prend plaisir à lire, qui sent bon le terroir, la bonne humeur et les ennuis des autres.
Quelques petites remarques, si je puis me permettre :
- « Quand la mode était aux permanentes, aux colliers de grosses perles, aux corsages apprêtés et aux jupes couvrant le genou, mais dégageant le mollet sur des socquettes blanches. »
Jusque là, je trouvais le texte parfait (et le commentaire que je vais faire de cette phrase n’enlève d’ailleurs rien à l’envie que j’ai de poursuivre ma lecture). Mais donc, ici, j’aurais arrêté ma phrase à « genou », question de rythme je crois. De plus, les socquettes blanches mériteraient bien une petite phrase pour elles toutes seules, tant elles ajoutent à l’image. Tandis que je trouve plus que superflue l’allusion au tailleur Chanel : cela déforce l’image, parce qu’elle la transforme et même la déforme, le tailleur Chanel étant un ravissement indémodable qui n’a rien de « pittoresque ».

- « et que se profilaient les cimes de l’Aurès »
Même en surfant sur Google, je n’ai pas compris cette allusion. Une petite note de bas de page à cet égard aurait été la bienvenue pour les vieilles incultes dans mon genre.

- « Il y a du biseau dans l’air… » Je ne comprends pas pourquoi cette réflexion suit l’approche de la mécanisation. Le biseau est une coupe en travers, que ce soit la machine ou la main de l’homme qui s’en occupe, non ?

J’ai éprouvé quelque peine à suivre les tribulations de Fernand tant le style virevoltant m’a donné le tournis. Mais le sens général ne m’ayant pas échappé, je me suis laissée emporter sans ennui (sinon avec toute mes facultés) jusqu’à la rencontre avec Hélène.

- « Et puis il y avait le jardin, l’immense, le jardin gargantuesque qui dévorait à plein temps le temps compté de deux personnes besogneuses. » : Il s’agit du « petit champ » de cinq ares ? Cinq ares, ce n’est jamais que 50 mètres carré, soit la superficie d’un relativement grand potager… Alors, « gargantuesque », heu…

- « Par la suite il eut droit à son quart de vin le midi, [ …], manifestation d’une intense satisfaction, mais aussi marque de connivence duplice à l’intention d’un visiteur imaginaire » : même remarque que plus haut. Jusqu’à « intense satisfaction », l’image était parfaite, la poursuivre m’a semblé nuire à sa force. Au rythme aussi peut-être. Et la connivence duplice pourrait, tout comme les chaussettes de tout à l'heure, bénéficier d’une petite allusion complémentaire et indépendante.

-« Atchi ! Snuff alors ! » Le « Atchi ! » est bien trouvé. Le « Snufff alors » me plaît moins.

- « et moult oeillades au coin de la fenêtre » : une oeillade se jette à dessein. On sonne, on est curieux, voire inquiet et on va voir, point. J’aurais donc préféré un simple « coup d’œil furtif » ainsi débarrassé d’arrière pensée.

- « Ô les nuits d’orage où elle se réfugiait… » : petite confusion, le « elle » pouvait s’appliquer tant à la fille qu’à la mère, on ne sait que quelques mots plus loin de qui il s’agit.

Mais sinon, rien à dire. Style entraînant. J’ai passé un très bon moment.

   MariCe   
21/8/2013
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai beaucoup aimé ; c'est très bien écrit, décrit.
Les émotions sont au rendez-vous, l'humour décalé et les jeux de mots forcent le sourire au début de votre texte.
Peu à peu le ton se fait plus grave et vous happez intelligemment le lecteur en brossant la vie étriquée des petites gens honnêtes.
Très belle écriture ; j'ai regretté toutefois une répétition : " fréquenté le bistrot en fréquentant sa moitié d'orage".
Merci.


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