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Sentimental/Romanesque
solo974 : Une gigue stupide
 Publié le 06/09/18  -  14 commentaires  -  5454 caractères  -  111 lectures    Autres textes du même auteur

À mon père : pardon, papa, d'avoir douté de ta fidélité !


Une gigue stupide


Irène avait la gorge généreuse et aimait la roucoulade. C’était tordant pour moi de l’entendre entonner je ne sais quel air d’opérette au milieu d’un gynécée papillonnant : qui réclamant la craie, pour vérifier l’exacte coupe de sa jupe ; qui pleurnichant, parce que les aiguilles à épingles – dont Irène usait abondamment – lui picotaient les jambes ; qui, enfin, braillant parce qu’un garçon s’était subrepticement glissé dans la salle à manger provisoirement métamorphosée en salon de couture – garçon devant lequel il n’aurait su être question de se déshabiller.


Irène, telle qu’en elle-même, ne s’affolait pas devant tant de jérémiades ! Elle apportait négligemment la craie, contrôlait de son œil expert l’ourlet en cours, jetait finalement le garçon de la salle à manger…


Mais Irène roucoulait et cela énervait visiblement ma mère, qui se réfugiait dès son arrivée au premier étage, prétextant sa dernière grossesse ou son énième crise de foie. Dans ces moments-là, je n’aimais pas ma mère, car je trouvais dommage qu’elle – qui concevait si allègrement tous nos vêtements – n’en assistât pas à l’exécution.


Mais ainsi était ma mère, préférant aux sonores roucoulades d’Irène recueillir le garçon rejeté de la salle à manger, veiller au dernier-né et soigner sa crise de foie.


***


Le mari d’Irène était pompier. Il arrivait parfois que mon père rentrât plus tôt que prévu de chez Citroën et que, surpris par l’ambiance échauffée qui régnait encore dans la salle à manger, surpris surtout peut-être qu’on ne l’ait pas attendu au quai de Vaucelles, il déclarât d’une voix neutre, mais tout de même chargée d’émotion pour moi dont les oreilles d’enfant étaient toujours à l’affût de ce qui pouvait blesser mon père (sa solitude au quai de Vaucelles) : « Irène , je vous ramène. »


C’était une joie immense pour moi que de participer à cette expédition. Il n’y avait que deux kilomètres à parcourir, mais les frisettes d’Irène, que je voyais onduler de dos, les mains de mon père, crispées au volant de la traction grise – qui pourtant en avait essuyé des kilomètres ! – et le silence énorme et envahissant qui régnait alors sauvaient quelque part le tumulte qui avait précédé cet instant.


Du fil à bâtir qui s’était longuement déroulé tout cet après-midi- là ; du pied de biche qui avait besogné nos futurs vêtements ; de la craie qui avait su en façonner les contours – savamment, sans jamais offusquer nos pudeurs d’enfants, insouciante sans doute du poids que l’une avait pris, de celui que l’autre avait perdu –, rien ne subsistait d’autre que cet étonnant silence.


En présence de mon père, Irène se taisait, comme figée à l’avance à l’idée du costume qu’afficherait tôt ou tard son pompier de mari. Les mains de mon père étaient elles aussi figées.

Moi seule, je crois, me réjouissais à l’avance du « bonjour Jacques » et du « bonjour monsieur Jacques » – car mon père, bien qu’indifférent de son rang, ne frayait pas aussi facilement avec les gens du peuple – qui suivraient inéluctablement ce silence au bout du compte gêné.


***


Jacques était là, impeccable dans son costume de pompier, cousu et recousu par des mains expertes, qui n’avaient ménagé ni les heures de craie, ni le fil à bâtir, ni le pied-de-biche – de toute évidence.

Mon père lui serrait rapidement la main, et au « bonjour monsieur Jacques » dit d’une voix moite succédait rapidement un « au revoir monsieur Jacques » qui ne laissait aucun doute sur les sentiments ambigus de mon père pour LA Irène à la gorge de colombe : Irène, dont j’aimais qu’en femme insouciante de son rang elle sût braver le balcon du premier étage, où ma mère s’était réfugiée ; Irène, donc, qui de sa gorge généreuse et roucoulante n’avait pas honte, dans la salle à manger bruissonnante d’où elle avait exclu autoritairement le garçon, de pousser la chansonnette et de clamer les mots qu’elle n’aurait su prononcer dans la traction grise chevrotante aux mains de mon père : « Toréador, ton cœur n’est pas en or… »


***


J’aimais danser la gigue. J’aimais surtout – et par-dessus tout – tâter la craie qui hantait nos futurs vêtements. Je poussai même le vice, ce jour-là, à caresser furtivement le pied-de-biche qui avait décousu tant de kilomètres à bâtir.

Je ne sais alors ce qui me prit, mais à tous poumons, je mis une joie immense à plagier LA Irène, et ses grands airs qui asphyxiaient mon enfance, et les mains de mon père si lâches qu’elles n’avaient su en découdre avec le benêt de Jacques le pompier.


Alors je criai, ou plutôt chevrotai – car je n’avais pas la gorge généreuse d’Irène – bêtement et sauvagement cette parodie monstrueuse mais qui pour moi avait un sens (car finalement il arrivait assez souvent que mon père rentrât plus tôt que prévu de chez Citroën) : « Toréador, ton cul n’est pas en or… »


***


Au ramdam qui succéda à cette méchante sérénade, je compris vite que j’avais fait du mal. Les mains de ma mère étreignirent froidement la balustrade du premier étage. Le garçon qui s’était réfugié dans ses jupes se prit une baffe, sèche et cinglante. Le dernier-né ne broncha pas.


Irène – avec ou sans crise de foie – fut renvoyée à son pompier de mari.


Le soir même, j’allai attendre mon père, sagement, au quai de Vaucelles. Il était pâle, mais ses mains ne tremblaient pas.


« Je te ramène » furent ses uniques mots…


 
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   Anonyme   
6/9/2018
 a aimé ce texte 
Passionnément
Si je n’ai rien compris, j’ai tout aimé...le style, le ton, le rythme, les personnages dignes des meilleurs seconds rôles des meilleurs films d’avant...

   toc-art   
6/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Solo,

J'ai bien aimé le ton de ta nouvelle, ce quelque chose d'enlevé et d'aérien qui me semble d'ailleurs refléter aussi ton dynamisme en correction.

En revanche, j'ai un problème sur tes temps de narration par rapport aux scènes que tu évoques. C'est peut-être moi, hein, mais pour moi il y a une confusion dans la narration entretenue par les temps choisis entre ce qui tient de faits répétés et ce qui relève d'une action unique.

L'allusion répétée à la craie n'était pas forcément nécessaire et je n'ai pas bien compris cette histoire du quai de Vaucelles où le père se sent seul, est surpris qu'on ne l'ait pas attendu, et où la narratrice va le retrouver à la fin. C'est l'adresse des usines Citroën où le père travaille ? C'est là qu'il vit ? J'ai pas suivi et ça participe un peu de cette impression de confusion tout au long du récit.

Pour autant, je me suis laissé porter par la narration enlevée, qui pourrait sans doute être plus simple par moments, mais qui se lit avec une certaine gourmandise.

Et puis, ça fait plaisir de lire un de tes textes.
Bravo à toi ! (avec un point d'exclamation pour te faire plaisir ! :-)

Un petit détail : j'aurais ajouté une virgule après "d'Irène" dans cette phrase :
Mais ainsi était ma mère, préférant aux sonores roucoulades d’Irène recueillir le garçon rejeté de la salle à manger, veiller au dernier-né et soigner sa crise de foie.

   vb   
6/9/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Solo,

J'ai adoré le style de votre nouvelle. Quelle belle langue vous employez! Ca m'a fait énormément plaisir de lire vos longues phrases enluminées de points-virgules, d'incises, de subjonctifs imparfaits. Vous éveillez en moi un imaginaire chargé de parfum, un harem, un lavoir comme dans l'Assomoir de Zola. C'est peut-être trop flatteur de vous comparer à Proust, mais je n'ai que rarement ressenti tant d'enthousiasme.

Comme je n'ai pas bien compris en première lecture, je me suis remis à la tâche et je dois bien vous avouer que, si j'ai mieux compris, je n'ai pas compris beaucoup.

Donc nous avons une maison où de nombreuses jeunes filles apprennent à coudre (ou sont de jeunes couturières professionnelles). On ne sait pas si la narratrice en fait partie ou pas. L'excentrique Irène, à la volumineuse poitrine, domine ce petit monde où elle va même jusqu'à pousser la chansonnette.

Le père de la narratrice revient du travail et emmène Irène chez elle, chez son mari. Dans la voiture s'installe un silence gêné et le père ne semble pas savoir quoi faire de ses mains. [J'ai aimé votre manière de décrire la relation entre le père et Jacques (bonjour monsieur Jacques).]

A partir de ce moment, je perds pied. Il semble que la narration se reporte sur une journée particulière, une journée où quelque chose à déraillé, où la narratrice à dévoilé (un peu à l'image de l'enfant dans le conte des Vêtements de l'empereur) ce que tout le monde savait : à savoir, oui, à savoir quoi au juste? une relation entre le père (aux mains balladeuses) et Irène, entre le garcon (le visage fourré dans les jupons) et Irène?

Je n'ai pas non plus compris, même si c'est un détail, ce qu'était un pied de biche. Pour moi le pied de biche d'une machine à coudre sert à coudre et pas à découdre. Comment et pourquoi la narratrice passe-elle son temps à caresser un si petit objet. Voulez-vous comparer cet objet au sexe féminin?

Je n'ai pas compris pourquoi vous parlez d'une gigue? Qu'est-ce qu'une gigue? Une chanson?

Je n'ai pas non plus compris où était le quai de Vaucelle. J'avais cru comprendre qu'il s'agissait de l'adresse de la maison; mais je ne comprends alors pas la phrase "Le soir même, j’allai attendre mon père, sagement, au quai de Vaucelles."

J'ai donc aimé passionnément la forme mais le fond m'a laissé perplexe. Dommage!

   hersen   
6/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Sans l'incipit, j'aurais été carrément larguée !

Mais je suppose que l'histoire est la non-histoire entre Irène et le papa ? tandis que la maman le croyait ? ^^

C'est vraiment dommage, ce manque de clarté car il y a sinon véritablement un ton très intéressant, ton écriture est très agréable à lire.

Du coup, je ne sais pas trop quoi penser, si cette nébuleuse est voulue ou non.
Un coup de coeur (sauf erreur de ma part) pour l'enfant qui devine l'attirance que deux adultes éprouvent l'un pour l'autre tout en s'en défendant, ou tout au moins en y résistant.

je suppose que tu passeras par la case "remerciements" pour nous éclairer ?

   Perle-Hingaud   
6/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Solo,

Je passe à mon tour pour te féliciter pour ton style: tes personnages sont bien croqués, sympathiques. Aucune "platitude" dans ces descriptions très vivantes. Le rythme est bien présent, à l'image de la gigue (une danse rapide) mais je suppose que ton titre se réfère plutôt à l'expression "une grande gigue", c'est à dire une fille maigre aux grandes jambes: ici, elle ne comprend pas les sous-entendus familiaux.
J'ai donc aimé cette lecture, mais… je trouve que tu dois travailler la clarté de ton propos: trop de choses sont juste effleurées pour un texte aussi court, j'ai eu du mal à te suivre. Je n'ai pas compris si le père était l'amant d'Irène (il me semble que non), à quoi correspondait ce quai de Vaucelles… Ce n'est pas très grave, mais c'est dommage.
Un détail: les parenthèses ne me semblent pas utiles.

Merci pour cette jolie nouvelle, à la prochaine !

   izabouille   
7/9/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Pas tout compris à la première lecture, puis en la relisant, on comprend beaucoup mieux. J'ai vraiment bien aimé. L'ambiance, les décors, les personnages, l'époque... Le fond et la forme sont en accord.
Merci pour ce bon moment de lecture

   plumette   
7/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Solo

c'est la qualité de l'écriture qui a retenu mon attention dans ce texte;

il y a un côté un peu suranné, des descriptions qui font surgir des images comme la première phrase du texte qui nous entraîne à la suite de cette Irène haute en couleurs.

Mais l'histoire n'est pas claire! l'enfant, devenu adulte, se souvient de ces trajets en voiture avec Irène et son père, et du silence, peut-être lourd de sous entendus qui envahissait l'habitacle. A nous de remplir les blancs, et d'imaginer pourquoi Irène a été congédié à la suite de cette parodie de chanson chevrotée par la gamine qui aurait donc mis les pieds dans le plat?

les deux hommes de l'histoire portent le même prénom ? C'est ce que j'ai cru comprendre avec ce Jacques et Monsieur Jacques.

Si vous savez de quoi vous voulez parler dans ce récit, votre lecteur est un peu trop ( à mon goût) obligé de se livrer au jeu de la devinette.

Comment garder son charme à ce récit tout en lui donnant plus de
clarté? Car ce côté assez elliptique participe à l'étrangeté séduisante de ce tableau de famille.

A vous relire


Plumette

   Robot   
7/9/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Pour une fois, j'aurais du lire la présentation car j'aurais plus facilement compris ce dont il était question.

Mais ce n'est pas grave puisque celà m'a donné l'occasion d'une seconde lecture.

Donc, nous voici embarqué dans un milieu un peu farfelu de la couture à domicile, dans une famille ou règne l'agitation, entre désirs secrets et attirance; et soupçons injustifiés d'adultère paternel.

Au début, je me suis demandé si Irène était la belle fille et le mari pompier le fils de la famille. Mais puisque le père l'appelle "Monsieur Jacques" ce ne doit pas être le cas.

J'ai surtout apprécié la vivacité du récit somme toute un peu confus, mais qui se lit agréablement, et la description assez trépidante des cinq actes (car il y a dans ce récit un aspect théâtral) .

   Donaldo75   
15/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour solo974,

Tout est dans le non-dit, c'est ce que je retiens de cette nouvelle où les souvenirs sont bien amenés, même si le style est parfois déroutant. La faute à des phrases trop longues qui m'ont égaré en tant que lecteur.

La narration est réussie. Irène, le père, le mari, la mère, tout est placé dans une sorte de petit théâtre de la vie (je parodie volontiers Simon Monceau sur ce coup là) sans les effets bouffes du vaudeville.

Merci.

Donaldo

   Lulu   
16/9/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Solo,

J'ai bien aimé cette nouvelle courte, mais dense ! Il y a un rythme qui donne un ton intéressant tout au long du texte, et qui nous entraîne au fil de ta plume.

Une plume très précise, méticuleuse et juste qui structure parfaitement la phrase.

Cependant, et peut-être est-ce lié au côté court de la nouvelle, je trouve dommage de n'avoir pas pu tout saisir à la première lecture, du fait d'un manque de précision, cette fois, du côté du récit proprement dit. Il y a du flou, un manque de détails. Ainsi, ce qui paraît évident pour l'auteur ne l'est pas toujours pour le lecteur… Peut-être qu'en s'attardant davantage sur la trame du récit, un lien plus clair entre les personnages, permettrait d'y voir plus clair tout de suite…

J'ai lu les mots de présentation après coup, et ai été mieux aiguillée, alors.

Mais je conviens qu'une telle forme d'écriture, si soignée, puisse être difficile à mener sur un texte plus long... à moins que tu n'aies de réelles facilités, ce dont je ne doute pas, mais alors il ne faudrait pas hésiter à étoffer, à combler à peine plus entre les lignes, en révélant, peut-être, un peu plus les sentiments des uns et/ou des autres...

Cela dit, sur l'intrigue, j'ai aimé que l'histoire commence par une telle scène qui campe bien l'ensemble. On imagine facilement l'ambiance et les personnages, ce qui m'a beaucoup importée.

Pour moi, il y a vraiment un style dans cette écriture. J'ai eu l'impression que tu avais composé ta nouvelle un peu à la façon d'un poème soigné.

Au plaisir de te relire.

   Clavil   
18/9/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Solo,

J'ai pris plaisir à vous lire et aimé cette nouvelle bien écrite
La narratrice sous entend l'infidélité de son père sans toutefois la formuler.
J’imagine parfaitement cette situation en pièce de théâtre.

Il y a quelques mots qui me semblent mal employés :
...tater la craie qui hantant …
...qui concevait si allègrement …
Un pied de biche ne découd pas, il sert à appuyer le tissu face à l’aiguille de la machine

A bientôt sur une autre lecture.

   Anonyme   
29/9/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Une nouvelle courte que j'ai trouvé compliquée à lire, la faute à un style pas déplaisant mais très particulier. Je ne saurais dire exactement ce qui a heurté ma lecture mais souvent je butais sur des phrases, des tournures et devais repartir en arrière pour bien saisir le sens. Même si j'ai compris le fond, des scènes m'apparaissent peu claires et auraient mérité davantage de substance. C'est un joli souvenir cependant que vous racontez, avec un chant plutôt cocasse !

   Anonyme   
21/10/2018
Le récit est court, mais il déborde dans tous les sens parce que vous avez le don de me laisser combler les vides que vous déposez ci et là.

Cette maison, cette grande salle, les bruits et les chants qu'on imagine, les silences en voiture rendent ce texte bien mystérieux. Mieux même, il est envoûtant. En comprendre le sens ou non, ne gâche en rien le plaisir de lire. C'est une expérience surprenante.

Au final, j'ai été ravi de me promener avec les yeux de cette fillette. Merci pour ce texte original.

   solo974   
7/3/2019


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